mercredi 2 décembre 2015

Ombres et lumières sur la Terre ! Treize lunes et un mystère ! 

Papier paru dans Ouest-France Nantes le mercredi 2 décembre 2015
Papier paru dans Presse-Océan le mardi 1er décembre 2015

Matinée de dédicaces prévue le 

Dimanche 6 décembre, de 10 h à 12 h 30, au Café de la Place du Vieux-Doulon, Nantes







Pour toi lecteur, un peu de lecture pour sortir de la torpeur et apporter une lueur d'espoir quand les ombres menacent la Terre :

Les voleurs d'ombres

Tout avait commencé une nuit sans lune. Sans lune et sans vent. Semblable à tant d'autres nuits. Combien étaient-ils ? Des dizaines, des centaines, des milliers ? Nul ne le sait. Nul ne l'a jamais su. Toujours est-il que tout commença ainsi. Au matin, comme tous les matins, Sully se leva la tête embrumée et les yeux dans le vague. Encore une journée à arpenter le parc municipal. A réprimander les garnements piétinant ses massifs de fleurs. A ramasser les déchets abandonnés par les noctambules. Ce n'est pas qu'il s'ennuyait. Il y avait bien pire comme métier. Il aurait pu se retrouver à serrer des boulons dans une usine comme son cousin Aristide. Ou à décharger des vraquiers de ciment comme Japhet et Samuel qui avaient fait la route avec lui.
Lui avait eu la chance de croiser le chemin du directeur des espaces verts. C'est ainsi qu'il avait décroché ce poste de gardien de square intérimaire et, par la même occasion, le logement de fonction à l'entrée du parc. Double aubaine ! Il était mal placé pour se plaindre. Il réajusta les boutons de son uniforme et tourna le bouton de son transistor. La météo nationale prévoyait une belle journée. Le soleil pointait ses premiers rayons par-dessus le mur d'enceinte. La radio diffusait un vieux standard des Shadows que vint interrompre un flash d'information. En temps ordinaire, Sully ne prêtait guère d'attention à l'actualité quotidienne. Le nom de sa ville, prononcé avec insistance par le journaliste, lui fit dresser l'oreille. La dépêche d'une agence de presse annonçait d'étranges phénomènes observés au cours de la nuit au-dessus de Darktown où toutes les lumières s'étaient éteintes simultanément, sans qu'il n'y ait eu de coupure d'électricité. « Une énigme pour les enquêteurs déjà sur l'affaire. Aucune conséquence n'est à signaler sur la population », concluait le commentateur.
Sully se demanda à quoi bon donner ce genre d'information sans importance. Il regarda sa montre et avala une dernière gorgée de café, désolé de devoir couper le Wonderful Land égrené par la guitare de Hank Marvin. Dans le parc, il entama sa première tournée matinale. Rien de particulier à signaler jusqu'au massif de buddleia où il aimait à venir observer la danse des papillons quand ses pensées vagabondaient. Une tache sombre au sol attira son attention. Il pensa tout d'abord à un vêtement oublié par un de ces fêtards qui venaient parfois finir ici une nuit trop arrosée. En s'approchant, Sully se rendit compte qu'il n'en était rien. La tache, pourtant bien visible sur les gravillons, n'avait aucune consistance. Ce n'était qu'une forme. Une silhouette bien dessinée de jeune filles aux formes avantageuses. Une ombre projetée au sol. Le parc était pourtant bien désert à cette heure matinale.
***
Pendant que Sully arpentait les allées du parc Manantena, les rues de Darktown sortaient de leur torpeur d'une nuit d'été. Tout le monde ne parlait que de ça. Tout le monde en parlait, mais ils n'étaient que peu à avoir observé le phénomène. Seuls les insomniaques et les travailleurs de la nuit pouvaient en témoigner. Ça n'avait duré que l'espace d'un quart d'heure et tout était revenu à la normale. Il n'en demeurait pas moins un mystère. Quand Tiavina, que ses collègues appelaient Tia par commodité, arriva au studio de prise de vue, tout se passa comme d'habitude. On la coiffa, on lui fit revêtir une large robe évasée et vaporeuse, et elle s'installa sous les projecteurs. C'est à cet instant précis que tout bascula.
MiK, le chef opérateur, fut le premier à s'en rendre compte. Il avait beau forcer sur l'intensité de la lumière. Aucune ombre ne se projetait sur le fond de la scène. Les rayons lumineux traversaient Tiavina comme si elle n'existait plus. Le phénomène se reproduisit avec Kristina, puis avec Anissia. Les techniciens défilèrent les uns après les autres devant les projecteurs. Tantôt une ombre finement découpée se profilait sur le fond d'écran, tantôt celui-ci gardait sa blancheur immaculée. La séance plongeait les assistants dans un océan d'incompréhension. Que fallait-il faire ? On changea les spots, on se déplaça dans un studio voisin. Sans résultat. Le mystère restait entier. Il fallait alerter les autorités locales. On amena des experts, les savants les plus érudits du pays. Et bientôt, la rumeur se propagea : un ou des voleurs d'ombre étaient à l'oeuvre.
Dans le parc Manantena, Sully était resté dubitatif devant la silhouette allongée sous les buddleia. Il l'avait observée, contemplée, admirée sous toutes les coutures. Il lui trouvait une grâce et une légèreté envoûtante. Il se jura de n'en parler à personne. Manquerait plus qu'il perde sa place. Ce serait son secret à lui. Tout au long de la journée, l'ombre n'avait pas bougé. La rumeur avait fini par franchir les grilles du parc : « Méfiez-vous des gens sans ombre ! » Des histoires de malédictions et d'ensorcellement, il en avait entendu de toutes sortes au village quand il était enfant. Il n'avait jamais su s'il fallait y croire ou pas. Le soir, après sa dernière tournée d'inspection, il rentra chez lui et actionna la serrure à double-tour. « On n'est jamais assez bien protégé », se dit-il, emmenant avec lui, dans ses rêves, l'ombre énigmatique du parc.
***
L'affaire de Darktown prit bientôt une dimension nationale. D'autant plus que le phénomène se reproduisait chaque nuit. Les « sans ombre » n'osaient plus sortir de chez eux par peur des regards suspicieux de leurs concitoyens. On les fuyait, on les évitait, on les pourchassait même. Et chaque nuit, de nouvelles ombres étaient volées sans que leur propriétaire ne s'en rende compte. Ce n'est qu'au matin, au soleil levant, qu'il remarquait qu'il était contaminé à son tour. Il s'empressait alors de s'enfermer chez lui, se barricadant derrière les volets clos pour vivre à l'obscurité. Les voleurs d'ombres continuaient à étendre leurs tentacules.
Une nuit de pleine lune, malgré le couvre-feu, Sully prit son courage à deux mains pour descendre dans le parc. Il voulait s'assurer que la silhouette de sa « bien-aimée » était toujours là. Une forme humaine s'agitait sous les buddleia. Sully se tapit derrière le tronc d'un séquoïa centenaire et observa la scène. Une jeune fille était affairée à gratter le sol. Elle ne le vit pas arriver et resta figée de stupeur quand il l'interpella :
  • Vous cherchez quelque chose Mademoiselle ?
  • Mon ombre ! Elle est là, je le sais !!!
Dans ses yeux éclairés par un rayon de lune, Sully vit l'effroi et la peur. Il se voulut rassurant :
  • Je veux bien vous aider. Dites-moi seulement votre nom.
  • Tiavina. Je m'appelle Tiavina. Vous n'avez pas peur ? Tout le monde a peur des gens comme moi.
  • Moi non. Je vous connais depuis la première nuit.
  • Vous étiez là quand Ils m'ont volé mon ombre et vous n'avez rien fait ?
  • Ils ?
  • Les voleurs d'ombres. Quand leur butin sera suffisant, ils en recouvriront la Terre et cacheront le Soleil à jamais.
  • Comment sais-tu tout ça ?
  • Depuis qu'ils ont commencé leur œuvre, ils me tourmentent toutes les nuits. Ils prétendent que dans leur fuite, avant le lever du jour, un des leurs a perdu mon ombre au-dessus de la Ville. Que s'ils ne la retrouvent pas, ils ne me lâcheront plus et...
  • Et ?
  • Il faudra que je devienne une des leurs. Je ne veux pas devenir une ombre fuyante.
Sully se gratta la tête. L'affaire lui parut plus grave et plus complexe qu'il ne l'imaginait. Il prit la main de Tiavina et lui déclara solennellement :
  • Je veux bien vous aider, mais il faut que nous trouvions le moyen de les arrêter. La première chose à faire est de redonner de l'espoir à tous les habitants de Darktown.
  • Impensable. Ce sont les Maîtres de la Nuit. Quand Ils auront assez d'ombres pour éteindre la lumière du Soleil, Ils auront gagné.
Sully regarda Tia. Derrière son visage épouvanté, il devina celui qu'il avait attribué à la silhouette de sa « bien-aimée ». Pour elle, il se sentait prêt à affronter les plus sombres démons. La présence de Tiavina lui enlevait toute angoisse.
  • Dès demain, si vous l'acceptez, nous sortirons dans les rues de la ville, main dans la main, pour montrer qu'avec ou sans ombre, nous pouvons affronter la peur en nous rassemblant, lui proposa-t-il.
Au début, leur démarche ne se heurta qu'à des regards réprobateurs. Pensez-donc, un gardien de square venu d'ailleurs et une « sans-ombre » déambulant dans la rue. Pas de quoi altérer la détermination de Sully. Dans les yeux de Tiavina perçait maintenant une pointe d'admiration pour son sauveur. Celui-ci se mit à haranguer la foule.
  • Sortez de vos caves et de vos maisons ! Levons-nous ensemble pour aller récupérer nos ombres.
Les portes s'ouvrirent timidement. La foule commença à se masser autour de Sully et de Tiavina. Quand le soleil disparut derrière la tour du Couchant, la peur avait laissé la place à l'espoir. Cette nuit-là, les Maîtres de la Nuit effectuèrent leur dernière razzia. Au matin, le Soleil ne se leva pas comme d'habitude. Et pour cause ! Les voleurs avaient tissé leur ciel d'ombres et, sûrs de leur fait, s'apprêtaient à fêter leur victoire dans les rues de la Ville. A l'instant précis où Sully l'avait prévu, un rayon de Soleil déchira le voile opaque. Une tache lumineuse aux formes de sa « bien-aimée » se dessina au sol. Les voleurs d'ombres essayèrent bien de se réfugier dans les recoins les plus sombres, mais la lumière les rattrapait et les terrassait un à un. Ainsi Sully avait réussi à vaincre les démons de la nuit en remplaçant l'ombre de sa bien-aimée par un souffle de vent. L'espoir avait définitivement changé de camp.
Tiavina empoigna la main de Sully et l'entraîna sous les buddleia du parc Manantena, laissant les habitants de Darktown se débrouiller pour récupérer leurs ombres. Si d'aventure, vous en croisez un dont l'ombre vous paraît suspecte, n'ayez pas peur, ce n'est pas l'ombre qui fait l'Homme, c'est la lumière !

mercredi 28 octobre 2015

A book is born ! Lumière sans bornes...

Prêts à compter les lunes ?

L'Univers selon Pedro. Mise en orbite !!!



Bonjour à toi lecteur,
Après Tout secret, paru en 2013, après Faux socle en trigone, publié au printemps dernier, je vous annonce la parution de mon 3e roman. La nuit des 13 lunes, récit d'anticipation et quête initiatique, est désormais disponible aux éditions du Masque d'Or. En voici la 4e de couverture :
« Je sais qu'il reste encore tant et tant de choses à faire et à écrire. Les événements que toi, ami lecteur, tu découvriras en lisant ce récit, c'est moi qui te les rapporte tels que je les ai vécus. Tantôt au cœur de l'action, tantôt comme simple témoin impassible et muet. Quoique ! Tu me diras que mon physique te rebute et que mon imagination s'emballe. Que je ne suis qu'une illusion, un mirage de papier. T'as pas tort. J'étais né pour être compilateur de goûts et de saveurs. Les circonstances de l'ère du soleil immobile m'ont fait éveilleur de conscience. Ce n'est pas le terrible NK6, 13e de la dynastie des Karoff qui pourra dire le contraire après notre longue nuit en tête-à-tête pour suivre la quête des moissonneurs de lune. Roman, utopie ou vision d'un passé composé et d'un futur pas très rieur, ce flash-back sur les treize lunes passée est un mariage entre la raison, la déraison, l'émotion, le drame, les rires et les larmes. Tu veux en savoir plus ? Alors embarque avec moi pour entretenir la chaîne de lumière que commencent à tisser le vieux Conrad avec la sage Paleska et la belle Hannah, fille ordinaire des années 2600... »
Pour se procurer l'ouvrage, plusieurs solutions.
  1. Sur ma propre boutique en ligne hébergée sur e-bay. Je vous y propose mon livre dédicacé, avec livraison sans frais de port pour les Nantais. Lien suivant : http://www.ebay.fr/itm/nuit-13-lunes-Gerard-Lossel-dedicace-demande-/141812678841?hash=item2104b1c0b9
  2. Egalement disponible en version numérique sous format EPUB sur le site www.actilib.com

And now, ladies and gentlemen, un peu de lecture pour agrémenter l'automne :

Ivresse saisonnière et mots d'elles

C'est les hormones. Chaque fois que les jours rallongent, ça me reprend. L'envie de partir. De prendre la route. N'allez pas croire que je suis du genre coureuse. Mais, c'est plus fort que moi. Un besoin irrépressible, un désir d'ailleurs. Et dire que Simbala vient de me passer la bague au doigt. On n'me la fait pas, à moi. J'ai bien vu dans son regard qu'au même moment, il pensait à une autre. Les hommes sont comme ça. Ils s'affolent devant mes longues jambes. Ils reluquent ma démarche et, dès qu'une autre passe devant eux, ils se détournent de moi.
Depuis le temps, je devrais être blasée. C'est que, des voyages, j'en ai fait. Des hommes j'en ai connus. Et pas que de la première fraîcheur. Alors, j'en reviens toujours à mon beau Francis. Un amant comme on n'en fait plus. Y a pas plus fidèle. Son défaut : il n'aime pas voyager lui. Comme si on lui en avait coupé l'envie. Un peu casanier le Francis. Quand on s'est connu, l'était jeune et fringant. Il me faisait une de ces cours avec ses 180 centimètres tout déployés. J'ai pas pu résister. Bon, il s'est un peu déplumé depuis. Mais je sais que je peux compter sur lui. C'est pas comme ce Simbala. On ne m'achète pas avec des bagues, moi !

Il est pas méchant Simbala. Plutôt dans le genre collant. Et puis, ce que je ne supporte pas avec les hommes, c'est cette fausse prévenance. J'ai bien compris son cinéma au Simbala. Paraît que dans sa langue, ça signifie lion, ça reste à démontrer ! Depuis que je porte sa bague, il vient me voir tous les jours. Lui, il habite Ségou, sur les bords du fleuve Niger. J'aime pas, c'est trop sec là-bas. Alors, il m'a laissé vivre ma vie ici. Le coup de la bague, c'était un prétexte ! Une manière détournée de s'adresser à celle qui occupe ses pensées bien plus que moi. S'il croit que je ne l'ai pas compris, il se met le doigt dans l'oeil. J'ai fait semblant de rien. J'ai bien entendu les mots qu'il a échangés avec son pote Assama : « Avec un peu de chance, Lise aura le message pour la Saint-Valentin ». Tu ne me la feras pas à moi, Simbala. D'ailleurs, je m'en vais faire mes valises.
C'est décidé. Je m'en vais. J'en ai trop envie. J'ai des copines qui me disent que je ne tiens pas en place. Je ne sais pas comment elles peuvent supporter de vivre toute leur vie au même endroit. Simbala est venu me voir, la gueule enfarinée. Tout juste s'il n'était pas content de me voir partir. La vie c'est la vie mon gars ! Et les
hormones sont les hormones, tu ne les contrôles pas. J'ai un peu étudié mon plan de route. Au départ, j'avais envie de changer d'itinéraire. De découvrir d'autres pays, d'autres contrées. D'autres hommes peut-être ! Et puis, chaque fois c'est pareil, je me retrouve grosso modo à faire le même trajet. C'est plus fort que moi !

Adieu Simbala. Ta bague, je la garde. On a passé un bon moment ensemble. Mais je crois qu'on n'était pas fait l'un pour l'autre. Ce soir, je m'en vais dormir du côté des dunes de Bintagoungou. J'adore. Le sable y est presque aussi blanc que ma robe préférée. Je pense qu'on sera plusieurs à s'y retrouver. Ça va être de la folie ! J'avoue que j'ai quand même un petit pincement au cœur en quittant le delta. Je ne veux pas trop le montrer à Simbala. Pas envie qu'il se fasse la moindre illusion., Ceci dit, je pense qu'on se reverra tôt ou tard. En simples amis !
J'ai fait le début du voyage avec quelques copines. Qu'est ce qu'on a pu leur mettre aux hommes ? Juste une mise au point après tout ce qu'ils colportent à notre sujet. Y avait Mélissa qui s'esclaffait : « Si les grenouilles se changeaient en prince charmant, ça se saurait ! » Et puis Cindy qui bougonnait : « Des enfants, j'en ai eus, mais jamais un homme pour les porter. J'voudrais les y voir. Sont bons qu'à donner le départ, mais à l'arrivée, c'est toujours nous qui les avons dans les pattes. » Moi Marie je me taisais. J'ai beaucoup pensé à mon Francis aujourd'hui. L'est pas comme ça, lui. Toujours prêt à m'aider pour le ménage et les courses. Pendant le temps qu'on passe ensemble bien sûr !

J'adore faire la route. La fatigue ne me pèse pas. Même si je m'aperçois qu'avec l'âge, je deviens plus craintive. La peur de la mauvaise rencontre. Ou de l'accident. C'est venu à l'automne dernier. Je faisais le voyage avec Dominique et Sarah. J'avais pris la tête du convoi. On venait de passer Barcelone. J'ai juste eu l'impression de voir un éclair. Et puis, plus rien ! Je me suis arrêtée pour les attendre. Ils ne sont jamais venus. J'ai fait demi-tour pour les retrouver. C'était trop tard. Ils avaient été éjectés et gisaient inertes au bord de la route. Depuis, je ne voyage plus aussi tranquille. Mais bon, quand on a été habitué à cette vie, difficile d'y renoncer.
Ce matin, Kristina et Zuzana sont venues nous rejoindre. Des filles chouettes. Elles nous ont dit que c'était la première fois qu'elles faisaient la route dans ce sens.
Avec Cindy et Mélissa, on les a prises sous notre aile. Ça les a rassurées d'être encadrées par de vieilles routardes comme nous. On a décidé de se diriger un peu plus vers la côte. Les routes y sont plus sûres et, au moins, on y trouvera de quoi becqueter. En attendant, Cindy a besoin de faire une halte. Elle prétend qu'elle est indisposée. Moi, je pense plutôt qu'elle a dû bouffer une cochonnerie. Du genre chimique comme ils en mettent maintenant sur les cultures. Faut dire que la Cindy, elle a toujours eu un penchant pour la goinfrerie. Elle espère avoir perdu ses rondeurs d'ici la fin du voyage. « Sinon, Walter ne voudra plus de moi », minaude-t-elle à tout bout de champ.

La tuile nous est tombée dessus hier soir, tout près de l'Oued Grou où on avait convenu de passer la nuit. C'est Kristina. Assurément la plus belle d'entre nous. De superbes yeux noirs et une cambrure à réveiller les instincts les plus bas. Ça n'a pas loupé. Deux hommes l'ont prise pour cible. Tous les mêmes. Des prédateurs ! On ne sait pas ce qu'elle est devenue mais on ne donne pas cher de sa peau. C'est surtout Zuzana que ça a affecté. Elle n'avait plus envie de continuer l'aventure. Faut croire qu'elle aussi, les hormones la travaillent. Ce matin, elle est toujours là. On a poursuivi notre voyage. En silence.
Je commence à sentir la fatigue. Les émotions et la disparition de Kristina n'ont rien arrangé. J'ai vraiment hâte d'arriver. Ce ne sera pas encore pour demain. Aujourd'hui, la route me pèse plus qu'à l'accoutumée. Me lasserais-je de ces interminables entre-deux ? Je commence à gamberger. L'impression d'être un éternel migrant. Dès que j'arrive quelque part, je pense déjà à en repartir. A moins qu'une force supérieure ne m'oblige à voyager. Et si c'est Francis qui avait raison ? Faudra qu'on en discute ensemble. J'ai toujours pensé que la sédentarité n'était pas pour moi. Je suis prête à revoir ma position si on m'avance de bons arguments.

A propos de position, j'ai hâte de me retrouver dans les bras de Francis. C'est quand même plus réconfortant que Simbala. J'en avais presque oublié sa bague. Il a déjà dû me remplacer par une autre. Il paraît même que c'est une habitude chez lui, d'après ce que m'ont raconté Cindy et Mélissa : « Tu sais, tu n'es pas la première ni la dernière à qui il aura offert une bague. Mais un jour, on l'a surpris avec Lise. Ça a
levé tous nos doutes. » Après tout, je m'en fous. Je préfère m'envoyer en l'air avec Francis. Lui au moins, c'est une valeur sûre. Et puis, c'est quand même lui le père de mes enfants. Je ne sais pas si je suis une bonne mère à les laisser comme ça. Ils ont préféré le mode de vie de leur père.
J'ai l'impression que le printemps n'est pas encore arrivé jusque là. Pourtant, le mois de février est bien avancé. Dans l'eldorado maraîcher du Campo de Dalias, les tomates mûrissent déjà à tour de bras. Ceci dit, je n'en ai rien à faire. Ce n'est pas ma tasse de thé comme on dirait., Les légumes, très peu pour moi. A la fadeur des aubergines, j'ai toujours préféré une viande bien saignante. Même si mon petit faible, et ça étonne toujours, c'est les cuisses de grenouille. Allez savoir pourquoi ! Je suis née comme ça. Je dois tenir ça de mes parents.
Bientôt la fin. Comment Francis va-t-il m'accueillir ? J'ai le sentiment que mes copines de voyage sont dans le même état d'esprit que moi. Même Zuzana qui a eu du mal à digérer la séparation d'avec Kristina. Elle est venue se confier à moi, pendant qu'on faisait une pause près de l'étang de l'Ayrolle : « Toi, tu as ton Francis. Mais moi qui n'ai jamais été amoureuse, crois-tu que je pourrai plaire à quelqu'un ? » Il a fallu que je la rassure. Que je lui dise qu'avec sa beauté et son éclat naturel, ça ne faisait aucun doute. Mais, je l'ai aussi mise en garde : « Ne te donne pas au premier venu. Laisse-le te faire la cour. Tu sais, il ne faut pas qu'il pense que tu es une Marie couche-toi là. Même si tu en as très envie. »
C'est ça aussi, la vie. Se servir de son expérience personnelle pour éviter aux plus jeunes de tomber trop vite du nid. Me voilà presque philosophe. Des paroles de sagesse qui ne vont pas empêcher une partie de jambes en l'air avec Francis dès mon arrivée. J'en ai trop besoin, Ça doit être la période qui veut ça. Et tant pis si je retrouve une nouvelle fois en cloque. Quand on aime on ne compte pas.

Je me sens toute fébrile. L'impression de ne plus avancer. Je reconnais ces paysages. La moindre colline, le plus petit des hameaux. Les toits pentus, les rangs de vignes. A vol d'oiseau, je dois être tout près. Après le virage, je m'attends à le voir, fier comme Artaban, la tête jetée en arrière pour m'accueillir. Sauf que là, surprise ! Comme prévu, Francis est là. Mais il n'est pas tout seul. Une jeune fille blonde se
tient à côté de lui. Toutes les mêmes. Elles profitent qu'on ait le dos tourné pour aller dévoyer votre plus fidèle partenaire. Tiens, tiens, je me découvre jalouse ! Après tout, ne me suis-je pas laissé moi-même passer la bague au doigt par Simbala ?
Je ne vais pas en faire une scène à Francis après six mois de séparation. Je fais semblant de rien. Je l'accoste, jouant du croupion. Et voilà que l'autre blondasse s'approche de moi. Qu'est-ce qu'elle me veut ? Je ne partage pas. En plus, on est le 14 février. Je l'avais calculé. Aujourd'hui, je suis amoureuse de Francis et bien décidée à le faire craquer. Pas question que la première venue se mette en travers de mes projets. Mais, visiblement, la nana n'en a cure. La voilà qui s'approche de moi. Finissons-en. S'il faut aller à la prise de bec, je ne crains personne. D'autant plus que le mien, de bec, est bien acéré. Rouge comme mes jambes. Rouge comme la colère qui me gagne, foi de cigogne. Je vous raconte ma vie. Mes mots d'ailes, ou mes mots d'elle si vous préférez ! Mais je me rends compte qu'on n'a pas fait les présentations. Moi, je suis du genre Ciconia ciconia. Je sais, ça fait redondant, mais c'est comme ça. Ça vous cloue le bec, non !

J'en reviens à l'autre blonde. J'ai tout compris. Elle ne m'avait pas volé mon Francis. L'était d'ailleurs plein d'ardeur le gars Francis, en me revoyant. Quel pied ! Non, la jeune fille était simplement venue « lire » ma bague. Quatre lettres noires formant le mot LOVE qu'elle avait noté sur son calepin. Elle me parlait, pensant que je ne la comprendrais pas. Je ne suis pourtant pas née de la dernière pluie.
  • « Génial. Je vois que Simbala a pensé à sa Lise, son ornithologue préférée. J'aimerais tellement qu'il soit là. En attendant, je vais lui communiquer ta date d'arrivée. J'attends encore une bonne douzaine de cigognes. Tu vois, tu n'es pas la dernière, Marie ! »
Dans toute l'Alsace, le printemps sera chaud ! Mais je sais déjà que dès que le raisin sera mûr, je ressentirai des fourmillements dans les rémiges. L'ivresse saisonnière, c'est notre appel du large. Et là, rien ne pourra me retenir !

vendredi 18 septembre 2015

Treize lunes et une couverture !!!

Parlez-en en bien, parlez-en en mal, mais PARLEZ-EN !

Oeuvre originale de Yoann Lossel


L'eau tonne et la fin de l'été t'étonne. Voici venir La nuit des 13 lunes dont l'arrivée est annoncée comme les grandes marées. Nouveau roman, nouvel univers ! Après le passé revisité dans Faux socle en trigone, c'est à un grand pas en avant que je t'invite, lecteur ami, pour suivre la quête de la lumière entreprise par Hannah, Conrad et Paleska. Avec, aux premières loges, l'affable Griniotte (en filigrane sous le code-barre du roman) et le cynique Nick, le despote Nick sans satellite, à l'aube du 27e siècle, première ère du Soleil figé. Prêts, prêtes pour le voyage ? Le livre est d'ores et déjà disponible en pré-commande en copiant le modèle ci-dessous :

 

BON DE COMMANDE


À découper et à renvoyer à :

Gérard LOSSEL
23, rue Bariller
44000 Nantes


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LA NUIT DES 13 LUNES au prix de 23 €

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Et aussi pour ceux que cela peut intéresser :
L'Association "Et Demain" est heureuse de vous rencontrer ou retrouver pour  
"Les Rencontres Enchantées"
Un moment joyeux autour des arts,  où chacun peut s'exprimer dans une ambiance cabaretVENDREDI 2 OCTOBRE 2015 19h/23h
à la Maison de Quartier Bottière (Maison en Bois) Nantes
147 route de Sainte-Luce 44300
Tram L1 Souillarderie. Bus 11 Bois Robillard
(salle accessible aux personnes en situation de handicap)

Scène ouverte aux petits et aux grands:Danse, chansons, musique, jeux, poésie, peinture, photos, cirque, sketchs...
 
Animée par ROMEO et TANAGORE   Renseignements 06 08 99 83 02
+2 temps forts:
Rencontre avec Gérard LOSSEL écrivain: "Faux socle en trigone"et journaliste à Ouest-France+ Galerie d' Art Vivant 3 Autoportraits sortant du cadre.


lundi 24 août 2015

Coup de sommeil et treize lunes en attente...

Ils s'en allaient moissonner les lunes...

Ni hashtag, ni mot-dièse ni mot-clic ni mot-clac, je ne chante pas les notes dysphoniques de l'oiseau bleu. Laissez-moi rêver en plus de 140 cygnes. Signes des temps ou cygnes d'étang, je vous invite à revivre avec le féroce Nick La nuit des 13 lunes dont la parution est annoncée pour l'automne. Je t'offre, lecteur, la primeur de la 4e de couverture et un avant-portrait de Son Altesse Griniotte croquée par Yoann Lossel. Pour la suite, patience, encore quelques coups de sommeil et en avant pour le futur... 
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Gérard LOSSEL
LA NUIT DES 13 LUNES
Éditions du Masque d'OrPrix SUPERNOVA 2015
COLLECTION SUPERNOVA
« Je sais qu'il reste encore tant et tant de choses à faire et à écrire. Les événements que toi, ami lecteur, tu découvriras en lisant ce récit, c'est moi qui te les rapporte tels que je les ai vécus. Tantôt au cœur de l'action, tantôt comme simple témoin impassible et muet. Quoique ! Tu me diras que mon physique te rebute et que mon imagination s'emballe. Que je ne suis qu'une illusion, un mirage de papier. T'as pas tort. J'étais né pour être compilateur de goûts et de saveurs. Les circonstances de l'ère du soleil immobile m'ont fait éveilleur de conscience. Ce n'est pas le terrible NK6, 13ème de la dynastie des Karoff qui pourra dire le contraire après notre longue nuit en tête-à-tête pour suivre la quête des moissonneurs de lune. Roman, utopie ou vision d'un passé composé et d'un futur pas très rieur, ce flash-back sur les treize lunes passées est un mariage entre la raison, la déraison, l'émotion, le drame, les rires et les larmes. Tu veux en savoir plus ? Alors, embarque avec moi pour entretenir la chaîne de lumière que commencent à tisser le vieux Conrad avec la sage Paleska et la belle Hannah, fille ordinaire des années 2600... »
Griniotte (Eh oui ! C'est moi en couverture du livre)
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BON DE COMMANDE

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SCRIBO DIFFUSION – Éditions du Masque d’Or
18 rue des 43 Tirailleurs 58500 CLAMECY

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LA NUIT DES 13 LUNES au prix de 26 € frais de port compris

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Signature indispensable :



C'est lui, le Grand Compilateur de goûts et de saveurs, mais aussi éveilleur de consciences.

Parution d'un recueil anti-fanatisme

Ce recueil de poèmes et de nouvelles auquel j'ai modestement participé est né d'une idée de Thierry Rollet après les attentats de janvier dernier. Le livre est en pré-publicité aux éditions du Masque d'Or.

Laissez dormir le Dragon qui sommeille en vous !!!!





lundi 20 juillet 2015

Pause scriptum et ére de rien...

Quand les mots lassent au soleil d'été...

Reflets brisés d'un doux après-midi d'été à la Pousselisière

Pause-scriptum : En attendant la parution de mon prochain roman programmée pour la fin de l'année, avec un regard anticipé vers un futur pas très rieur, "Faux socle en trigone" reste disponible à l'achat sur les sites de vente en ligne : e-bay, éditions du Masque d'Or, ou par l'intermédiaire de ce blog. Je dédicacerai l'ouvrage le samedi 8 août de 16 h à 18 h 30 à Pfulgriesheim (Alsace). D'ici là, pause scriptum estival et doigts de pieds en éventail. Mais si le coeur t'en dit, un peu de lecture pour les heures perdues qui ne se rattrapent guère :



    Ultime échappée pour l'oublié de l'Olympe


On est le 23 juillet 1952. Au pays des Pharaons, le roi Farouk est tombé. Je l'ai entendu aux actualités. C'est mercredi. J'ai 10 ans et demi et mon grand-père est mort. Il est mort comme il avait vécu. En roue libre et sans faire de bruit. Il est mort le jour de gloire de Bernard Malivoire. Oui, je sais, vous ne connaissez pas Bernard Malivoire. Mon grand-père le connaissait, lui ! Sauf qu'il est mort ! Mort bêtement. Sottement. Sans que personne ne connaisse son secret. A part moi, bien sûr. Quand il me parlait, je l'écoutais. Religieusement me disait-il. Pourtant il n'y croyait plus beaucoup, au ciel. « Comment Dieu existerait-il si même lui ne reconnaît pas les mérites de ses enfants ? » se lamentait-il. Il ne gémira plus. Il en est ainsi des grands hommes. Je dis grand parce qu'à mes yeux il était le plus grand. Tous les autres le voyaient petit. D'accord, il ne dépassait pas le mètre soixante et pesait à peine la moitié d'un quintal. Et alors ? Je ne suis pas grand non plus. Mais mon grand-père, lui, c'était le plus grand !
        Le plus grand et il est mort le lendemain de ses soixante ans. Pour son anniversaire, ses copains lui avaient offert un vélo Bertin couleur or. Avec maillot rouge et noir comme il convient. C'est qu'il leur en avait tant parlé de ses soirées au Vel' d'Hiv' à la fin des années 20. Mécano de Charles Lacquehay qu'il était. Mais les honneurs n'étaient jamais pour lui, même quand Longue Carabine, « c'est comme ça qu'on l'appelait le grand Charles », répétait Grand-Père quand il en parlait, remportait les Six Jours en 1926 et 1928 en faisant équipe avec Le Frelon. Mais oui, le Frelon, Georges Wambst, champion olympique en 1924. Ce n'est pas que je sois très calé en matière de cyclisme. Ce sont les mots de Grand-Père avant qu'il ne passe sous les roues du Berliet. Mort au champ d'honneur ! Mort en roue libre sur un vélo Bertin après avoir réglé tous les pignons fixes des pistards. « Au moins, sur la piste, tu ne te poses jamais la question si tu dois pédaler ou pas. Tant que les roues tournent, les jambes tournent. Et inversement ! » Ça aussi, c'est de Grand-Père.
         Lui, les jambes il ne les tournera plus. Ni la tête comme quand il posait sur moi son regard attendri en me disant : « Petit ! Si tu savais, tu serais fier de ton nom ! » Et moi, je le poussais à raconter. Mais personne ne savait. Ou plutôt personne ne voulait le savoir. On le prenait pour un de ces bateleurs de foire, beau parleur. Un petit homme qui s'inventait une grandeur passée pour oublier que la nature ne lui avait pas offert un corps d'athlète. Alors, c'est à moi qu'il se confiait. Dans son atelier de réparation, il gardait jalousement une sacoche de vélo fermée à clé. Enfilée dans un lacet, la clé pendait à son cou tel le diamant du pauvre. « Tu vois, Petit, cette clé, c'est la clé de ma vie rêvée. Je te le dis à toi. Parce que les autres, il y a bien longtemps qu'ils n'écoutent plus le vieux Gaston. »
         Son prénom c'était Gaston. Gaston Galibier. GG pour les initiales. Gégé pour ses copains du café. Ou « Petit col » quand ils voulaient se moquer. Mais Grand-Père pour moi ! Galibier, le nom ne m'évoquait rien d'autre que mon patronyme (ça c'est un mot que je viens d'apprendre). Jusqu'au début de cet été quand Grand-Père m'a dit que Fausto Coppi était passé en tête au sommet du Galibier. Il m'avait situé le col alpin sur une carte en soufflant d'un air penseur : « J'te dis pas la partie de roue libre que tu peux faire en te laissant filer dans la descente. » Ça m'avait surpris de savoir que je portais le nom d'un col des Alpes, mais c'était plutôt heureux pour un grand connaisseur du cyclisme comme Grand-Père. Je n'imaginais pas, ce jour-là, que trois semaines plus tard, la descente en roue libre de la rue des Arches lui serait fatale. Manque de visibilité et coup du destin, ont dit les gendarmes. Mais le coup du destin, c'était mon Grand-Père. Et mon Grand-Père c'était quelqu'un. Quoi qu'on en pense.
        Ils l'ont emmené à l'hôpital de Vernon. Je me suis demandé pourquoi. Un mort n'a que faire de l'hôpital. Ce qu'il lui faut, c'est quelqu'un qui l'écoute. Comme moi. Je suis sûr que Grand-Père a encore des tas de choses à me raconter. Il suffira que je le regarde pour comprendre. Et je crois-même qu'il ne peut les dire qu'à moi. Ses derniers mots qu'il m'a dit avant d'aller essayer son nouveau vélo étaient : « Maintenant, Bernard Malivoire et moi, on est pareil. Enfin presque ! » Et  puis, avant d'enfourcher sa bicyclette dont la selle avait été réglée au plus bas, vu la longueur des jambes de Grand-Père, il avait enlevé le lacet et la clé qui pendaient à son cou. Cela m''avait surpris car il ne s'en séparait jamais. Quand j'y repense maintenant, ça me fait une drôle d'impression. C'était comme s'il sentait ce qui allait se passer. Je ne crois pas à ces choses-là, mais quand même !
          Ce nom de Malivoire décidément tourne dans ma tête, mais je n'y comprends rien. J'ai même du mal à y voir clair. Est-ce que c'était un copain de Grand-Père et pourquoi m'a-t-il dit qu'ils étaient pareils. Sont-ils morts tous les deux ? Lui aussi est-il mort en roue libre ? Des fois, j'allais au café avec Grand-Père quand il y rencontrait ses vieux copains. Je restais là à les écouter. Il y a des phrases comme ça qui me reviennent : « Après la retraite, je compte bien vivre tranquillement, en roue libre, et le plus longtemps possible. Et toi Gaston, qu'en penses-tu ? J'espère que tu vas encore nous inventer des tas d'exploits. T'as pas des origines marseillaises pour rien. Grande goule et petites jambes ! » Ça c'était Fernand, le garagiste de Gasny qui n'arrêtait pas de titiller Grand-Père. J'avais toujours l'impression que les autres se moquaient autant de sa petite taille que de ses prétendues exagérations. Je ne savais pas s'il fallait en rire ou en pleurer. Mais Grand-Père me rassurait « Laisse-les parler, ce ne sont que des jaloux ! » Et moi, je le croyais !
         Ce soir, je n'ai pas envie d'aller me coucher. Grand-Père me manque. J'ai pourtant l'impression qu'il est là, tout près. Je n'irai pas le voir à l'hôpital. Ma mère ne veut pas. Paraît qu'il n'est pas beau à voir. La roue libre, ce n'est pas toujours une sinécure. Je ne sais pas si c'est bien le  bon mot à utiliser. Mais je l'aime bien ce mot. Je l'ai entendu une fois et j'ai pensé à ma grand-mère qui est partie quand j'avais six ans. Le jour où elle avait fait ses valises, Grand-Père qui devait avoir bu un peu trop de rouge m'avait chuchoté : « Bon vent. De toutes façons, la vie avec elle n'était pas une sinécure. Alors, t'en fais pas Sylvère ! » Oui, Sylvère c'est mon prénom et je soupçonne d'ailleurs Grand-Père d'avoir soufflé ce prénom ridicule à mes parents en pensant à Sylvère Maës, dernier vainqueur du Tour de France avant la guerre et donc avant ma naissance. Inutile de vous dire que je préférais quand il m'appelait Petit. Mais qu'est ce que je ne donnerais pas, en ce moment,
pour l'entendre m'appeler Sylvère. Je sais bien que je ne l'entendrais plus jamais. Mais promis juré, j'irai voir ses copains et je leur apporterai les preuves de tout ce qu'il avait bien pu leur raconter. Promis Grand-Père, tu auras les honneurs que tu mérites !
Les honneurs. Mais quels honneurs ? En réalité, je n'en sais rien et maintenant il est là-bas. Je pense qu'ils doivent être en train de lui redonner un aspect présentable avant de le mettre dans le cercueil. Je n'ai pas souvent assisté à un enterrement. Au moins, Grand Père ne donnera pas trop de travail aux porteurs. Pour une fois, il ne sera pas moqué pour son poids plume. Je me demande parfois quel est le poids des souvenirs. Pour Grand-Père, ils doivent peser bien plus lourd que le reste tout habillé. Je me souviens de la première fois où il m'a fait bêcher au pas les planches du potager. C'est comme s'il avait battu la mesure toute sa vie. Un chef d'orchestre pour moi tout seul. « En-haut, en-bas, fais voler la pelle Petit ! En rythme et on accélère ! Un coup de pelle et tu souffles ! » Cela m'amusait, mais je ne devais pas être bien efficace. Il était comme ça Grand-Père. Personne ne faisait vraiment attention à lui. Du côté de Marseille d'où ses parents étaient montés, on l'aurait appelé le fada. Mais pour moi, il n'était pas fada du tout. Il avait juste des rêves plus grands que lui.
Un soir, j'étais assis avec lui sur le banc en pierre devant la maison. On regardait les étoiles. Il a posé sa main sur mon épaule. Il a pris un ton solennel pour me demander : « Dis Silvère, tu me crois toi ? Tu vois que je ne suis pas bien costaud mais ma médaille je la méritais. T'imagines, Gaston Galibier, le plus jeune médaillé d'or olympique de l'histoire ! » Bien sûr que je pouvais l'imaginer. C'était mon grand-père et ce qu'il disait valait tout l'or olympique du monde. Je me dis parfois que la vie qu'on s'invente devient vraie quand on réussit à en persuader ne serait-ce qu'une seule personne au monde. Alors oui, Grand-Père était mon héros olympique, mon champion du monde. Je suis sûr que dedans sa tombe il continuera à faire de la roue libre. En roue libre vers les étoiles ! C'est ce que j'aimerais écrire sur sa croix. Mais je sais, ça ne se fait pas. J'ai bien vu les autres croix du cimetière. Il y a toujours la date du départ et la date d'arrivée.
J'ai dû m'endormir d'un seul coup. Je ne me souviens plus de ma dernière pensée d'hier soir. Ce matin, je me sens encore fatigué. La cuisine me semble bien triste. Maman a laissé le journal ouvert à la page des avis d'obsèques. Je pense qu'elle l'a fait exprès pour que mon regard tombe sur cette annonce encadrée de noir. Le nom est écrit en grosses lettres : Gaston GALIBIER. Et en-dessous en italiques, dit Gégé, et puis son âge : parti à 60 ans. Parti ? Non, Grand-Père n'est pas parti. Il fait de la roue libre avec tous ses copains du Tour de France 1914. Je le sais parce qu'il n'arrêtait pas de m'en parler avec ses yeux, ses mains et tout son corps qui s'agitait : « Quand tu penses Petit, qu'ils avaient attendu 1912 pour autoriser la roue libre. Fallait les entendre, tous ceux qui disaient qu'avec un tel mécanisme, on allait tuer l'esprit de la course. En tout cas, en 14, j'y étais, moi, à Saint-Cloud. Je faisais mes premiers pas de mécano dans l'équipe Peugeot-Wolber. C'était le 28 juin. Et le lendemain, tu sais de quoi on a parlé dans les journaux ? D'un attentat contre un archiduc à Sarajevo. »
Là, je sais qu'il ne mentait pas. Parce que je l'ai appris à l'école. C'est même comme ça que mon grand-père a eu droit à sa guerre. Pas dans les tranchées, mais aux transmissions. « J'étais en roue libre. Pas assez grand pour me battre. Remarque, tu serais peut-être pas là aujourd'hui, Petit », me disait-il en énumérant tous ceux qui étaient au départ du Tour en 1914 et pour qui ce fut le dernier tour : « A commencer par le géant de Colombes, un costaud de chez costaud. Et puis le Petit-Breton, un batailleur comme il ne s'en fait plus. Et aussi Tatave le Frisé. Tous morts au champ d'honneur ! » Tous ces noms que Grand-Père me citaient avec des étoiles dans les yeux chantaient à mes oreilles de petit Parisien réfugié à Gasny depuis la fin de la guerre. Une autre guerre dont mon papa n'est pas revenu. Voilà pourquoi je vis là avec ma maman et Grand-Père. Parce qu'il est impossible de vivre ailleurs !
Les obsèques, comme ils disent, seront célébrées demain. En attendant, Grand-Père doit poursuivre sa dernière échappée. Je ne comprends toujours pas pourquoi il m'a confié la petite clé de la sacoche soigneusement rangée à côté de ses outils. Un ordre quasi-militaire dans son atelier.
« Tu comprends Sylvère. Si tu veux être le premier à passer la ligne d'arrivée, il faut que ton pas soit bien réglé. Un coup de pelle, une traction, une inspiration, et tu fends l'air, l'eau et le vent. » Je peux bien l'avouer maintenant. Je ne comprenais pas toujours tout ce que me racontait Grand-Père. Après tout, peut-être était-il vraiment un peu fada. Mais un fada tellement généreux, un fada tellement bon que je l'aurais suivi au bout du monde. Où est-il maintenant ? En train de grimper le Tourmalet. En train de se jeter en roue libre dans la descente du Ventoux ? Ou simplement à se laisser bercer par la musique des anges. Il paraît que ça fait ça quand on est mort. Je ne sais pas, j'ai jamais essayé !
Promis, Grand-Père, demain je te rendrai la clé de ton coffre-fort. Je la poserai sur le cercueil. Tu n'auras qu'à tendre la main pour la récupérer. Mais avant, je vais quand même voir ce que tu caches dans cette fichue sacoche. Je sais, je suis trop curieux. Rappelle-toi Grand-Père, tu auras les honneurs que tu mérites. J'ai juré. Ma main tremble. J'ai du mal à tourner la clé dans la serrure. Un peu de dégrippant. Ce n'est pas ce qui manque dans l'atelier. Je soulève le rabat précautionneusement. Comme si un diablotin pouvait me sauter au visage. Je dois avouer que je suis un peu déçu. Après tout, si la sacoche cachait un trésor, je pense que Grand-Père me l'aurait montré depuis longtemps. Il n'y a que des papiers, des articles de journaux jaunis et une enveloppe avec un timbre que je ne connais pas. La seule chose que j'arrive à lire, c'est l'année 1949 qui figure sur le tampon. Le timbre est un visage de femme avec les mots Nederland et Gulden. C'est étonnant. Grand-Père n'est jamais sorti de France. Et Nederland, je ne connais pas. On n'en a pas parlé à l'école. L'enveloppe a soigneusement été refermée. J'hésite un peu avant de l'ouvrir. Je fais attention à ne pas la déchirer. A l'intérieur, il y a une lettre écrite à la main.
Dear Gaston ! Qu'est-ce que ça veut dire Dear ? Au moins Gaston, je connais ! Mais Gaston, il n'est pas là. Il a pris la poudre d'escampette. Çà aussi, j'aime bien comme expression. C 'est le maître, à l'école, qui l'utilise le plus souvent. « Si vous ne voulez pas que je me fâche vraiment, je vous conseille de prendre la poudre d'escampette ! » C'est sa phrase préférée. Mais je crois qu'il ne
sa fâche jamais vraiment. Même quand le Raymond renverse son encrier sur son pupitre. Ma lettre à Gaston, j'en fais quoi maintenant. J'y comprends pas le moindre mot. Je pense que c'est de l'anglais. J'en suis pas certain. Mais je connais le mot Sunday qui est écrit en haut à droite. Je sais que ça veut dire dimanche. C'est ma maman qui me l'a appris. Quand j'étais plus petit, juste après la guerre, elle venait me réveiller le dimanche matin en me chuchotant Bioutifoule Sonnedais Vévère. Oui, elle m'appelait Vévère jusqu'à ce que je rentre à la grande école. Après, j'ai plus voulu.
Je ne suis même pas sûr que c'était moi qui ne voulait plus ou si c'était elle qui ne pouvait plus. C'est bizarre, mais ça s'est arrêté le jour où Oncle Jack est reparti en Amérique. Je n'ai jamais su s'il était vraiment mon oncle. En tout cas, maman était heureuse quand elle allait voir Oncle Jack. Un jour elle m'avait dit : « Tu sais Vévère. Ton papa est parti à la guerre. Maintenant, il est au ciel. Mais je crois que s'il avait connu Oncle Jack, il l'aurait aimé comme moi je l'aime. » Je me demandais pourquoi il ne l'avait pas connu avant la guerre, papa. J'avais essayé de poser la question à Grand-Père. Je crois qu'il m'avait un peu mené en bateau. Je dirais même qu'il avait ramé pour me répondre. Un truc du genre : « Tu sais, Jack, il a traversé l'océan pour que tu sois libre. Hélène et lui essaient de semer le peloton des mauvais souvenirs. » Hélène, c'est ma maman et, quand Oncle Jack est reparti, j'ai eu l'impression qu'elle avait vieilli d'un seul coup. Je sais que Jack lui avait appris à parler anglais. Elle pourrait peut-être me dire ce qui est écrit dans la lettre.
J'hésite encore. C'était un secret entre Grand-Père et moi. Si j'en parle à maman, le secret ne sera plus tout à fait un secret. Mais je veux savoir ! En attendant qu'elle revienne de la morgue (celui-là je ne l'aime pas du tout, ce mot, morgue ça fait un peu un mélange entre morve et beurk), je vais essayer de regarder les autres papiers et journaux de la sacoche. Je vois que, sur certains, Grand-père a entouré au crayon de couleur rouge un paragraphe, un mot ou une photo. Il y a là un Miroir des Sports qui ne doit pas être bien vieux puisqu'il annonce la liste des athlètes français pour les Jeux olympiques d'Helsinki. Le nom de Bernard Malivoire est cerclé de rouge. Quand je vous disais que Grand-Père le connaissait ! Sinon, pourquoi aurait-il entouré son nom ? Malivoire fait
partie de l'équipe de France d'aviron. Mais je ne vois pas le rapport avec Grand-Père. Il n'y a pas de roue libre en aviron à ce que je sache !
Sur une autre coupure de journal beaucoup plus vieille, un paragraphe retient mon attention. C'est la page des courses hippiques. La page est datée de septembre 1920. Dans le prix de la Salamandre couru dimanche à Longchamp, on a assisté à l'éclosion d'un crack avec la victoire incontestée, et presque en roue libre du pur-sang anglais Ksar monté par Georges Stern, remplaçant au pied levé Gaston Galibier, victime d'une ruade malencontreuse dans le paddock. J'en tombe des nues. Je connaissais Grand-Père cycliste, je ne le voyais pas jockey. Mais vu sa taille et son poids, tout devient possible. Quoique ! J'ai du mal à l'imaginer chevauchant les fiers étalons du haras de la Vastine devant lequel on était passé le jour de mes dix ans. Grand-Père m'avait offert mon premier vélo de course : un Tendil. Je me souviens qu'il avait découpé une annonce dans l'Athlète. Elle promettait une récompense d'un Million, soit dix francs le kilomètre débutant, aux jeunes coureurs pour la saison 1951.
Aujourd'hui, leur récompense me semble bien peu en comparaison d'une vie. Je ne veux pas de leur récompense. Je veux que Grand-Père revienne. Promis, je ne rechignerai plus pour aller m'entraîner avec lui. Promis, j'appuierai sur les pédales plus fort encore. Promis, promis, promis ! Et puis zut, je sais bien que c'est pas possible. Je ne sais pas si c'est pour me rassurer que maman m'a dit qu'il n'avait pas souffert. Qu'est-ce qu'elle en sait ? Et si quand on est mort, on ressentait les mêmes douleurs dans son corps qu'en étant vivant ? Vous le savez vous ? Moi, je n'en sais rien. Est-ce qu'on peut souffrir en roue libre ? Tout ça, ce sont des paroles. Vivement que maman revienne. Je lui montrerai la lettre. Elle me dira. Au fond de la sacoche, il reste une photo. Grand-Père a entouré au crayon rouge la tête du garçon qui pose entre deux grands gaillards aux bras musclés. C'est drôle leur tenue. Elle ressemble à un pyjama. Pour sûr, le petit bonhomme au regard sombre paraît bien frêle entre ces deux corps d'athlètes, dont l'un pose ses mains sur les épaules du jeune garçon. Il y a comme un air de ressemblance entre lui et moi. Même âge à peu près, même taille. Au dos de la
photo, une seule inscription : Paris 1900.
Je fais rapidement le calcul. En 1900, Grand-Père avait presque 11 ans. L'âge que j'ai maintenant. Et si le petit garçon entre les deux gaillards en tenue de bain c'était lui ? Il faut que j'en ai le cœur net. J'ai entendu le car de Vernon grimper la côte des Arches. Maman ne va pas tarder. Je
veux comprendre ! Je cours à sa rencontre. « Ça y est, Grand-Père est prêt pour le grand voyage. Ils l'ont bien arrangé », me dit-elle. Je me demande ce qu'elle entend par bien arrangé. Faut-il mettre les habits du dimanche pour être accepté là-haut. Je pense que Grand-Père aurait préféré y aller avec son cuissard de cycliste et son vieux maillot Wolber. A bien y réfléchir, je ne me souviens pas avoir vu Grand-Père en costume. Ou alors, une seule fois. Je crois que c'est le jour où j'ai vu pour la première fois Oncle Jack.
Maman s'est assise à côté de moi sur le banc en pierre. J'ai posé ma tête contre son bras et je lui ai tendu la lettre. Elle n'a pas eu l'air étonnée. Elle m'a dit : « C'est la lettre des Pays-Bas. Ton grand-père n'a jamais voulu que j'y touche. Le jour où le facteur l'a déposée, il s'est empresser d'aller la ranger dans son atelier. Je me souviens de son regard qui s'était allumé comme quand on souffle sur des braises. Ils vont bien finir par me croire, m'avait-il lancé en agitant la lettre au-dessus de sa tête. » L'histoire s'était arrêtée là. Maman n'avait pas posé d'autre question. Faut dire qu'à cette époque, le fantôme d'Oncle Jack hantait encore ses pensées. Et Grand-Père n'avait plus jamais évoqué le courrier venu du « pays des tulipes » comme il disait. Je n'y avais pas prêté attention, mais il me semble bien que Grand-Père a dû essayer de traduire lui-même le courrier. Ou alors ? Je ne sais pas s'il y a un rapport.
Je me rappelle parfaitement du dernier dimanche de juin 1949. Je finissais mon cours préparatoire avec Mademoiselle Lemasson. Grand-Père aurait pu appeler ça une fin d'année en roue libre. J'avais appris à lire et je n'attendais plus que les grandes vacances. Ce jour-là, c'était la fête à Gasny. Je crois bien que c'était la première fois que je voyais Grand-Père ivre à ne plus tenir sur ses pieds. Je le revois agiter une enveloppe en braillant : « Je m'en fous de ton église. Tu veux un
nouveau maillot ? Tu te le mets où j'pense !!! » Je ne sais pas où il pensait, mais ce ne devait pas être beau à voir. Maman m'avait expliqué que ses copains l'avaient une fois de plus raillé. « Tellement raillé que ça l'a fait déraillé ! » Voilà sans doute pourquoi il n'avait plus jamais parlé de cette lettre et de la photo qui l'accompagnait. La honte ou le chagrin !!! Ou les deux !
Sur la lettre, entre les lignes, Grand-Père a noté les mots : église, maillot, nouveau, petit. Maman a commencé à traduire. L'auteur du courrier est un certain François Brandt, évêque. Il dit qu'il est très malade. Que Herman est mort depuis plus de 13 ans. Que lui aussi va bientôt mourir. Mais qu'avant d'aller ramer sur les eaux calmes du paradis, il voulait réparer une injustice. Que les trois médailles d'or sont réunies chez Roelof Klein qui vit dans le New Jersey. Maman m'explique que Grand-Père a dû mal interpréter ces mots. Que ça voulait dire nouveau maillot, mais que c'était aussi un état américain. Les mains de maman se sont mises à trembler. Sa voix s'est remplie de larmes. C'était comme s'il y avait un nœud quelque part pour empêcher les mots de sortir. Je pense que la pression était trop forte. Elle s'est mise à hoqueter et les larmes ont coulé pour de bons.
Tout se mélangeait. Oncle Jack. L'Amérique. Le New Jersey. Herman. Je crois bien que c'était la première fois que j'entendais ce nom. C'était aussi la première fois que Maman me parlait de ses souvenirs d'enfance. Je n'avais jamais imagine Grand-Père la faire sauter sur ses genoux en lui criant : « Tiens bon la barre. Rame, rame, rame. Plus vite. On les aura tous ! ». Tout cela prenait son sens maintenant. On ne l'avait pas cru, lui, le Gégé des copains, le fada du vélodrome. La lettre expliquait tout ce que Maman savait déjà. Tout ce qu'elle n'osait pas répéter de peur de devenir la fille du fada. Mais moi, moi Sylvère Legrand (c'est le nom de mon père que je n'ai pas connu), moi, petit-fils de Gaston Galibier, je suis fier de ce que tu as fait Grand-Père. Tu peux maintenant monter en roue libre sur ton dernier podium. Car je sais tout !
Je sais que c'est toi l'illustre inconnu qui a pris la place du barreur titulaire, ce fameux Herman, pour emmener vers l'or olympique du double aviron Roelof Klein et François Brandt qui t'entourent sur la photo. C'était en 1900 à Paris et tu y étais. Tu n'avais pas encore 11 ans. Tu ne
pesais que la moitié d'Herman et c'est ce qui a fait toute la différence. Tu as donné la cadence comme un champion. Tu étais tout sauf un poids mort et je te jure que, parmi les anges, tu entendras tes copains chanter la Marseillaise pour toi. Ce jour-là, c'est moi qui tiendrai la barre. Maman me l'a promis, nous irons tous les deux jusque dans le New-Jersey pour aller voir le dernier survivant de l'équipage. Car toi Grand-Père, ils n'ont pas voulu de toi sur le podium. Mais ta médaille, tu l'avais gagnée. François Brandt le dit bien dans sa lettre. Tu les as aidés à grimper sur le Mont Olympe. Je ne le connais pas celui-là. Mais je sais que quand tu seras arrivé au sommet avec ta médaille d'or autour du cou, tu pourras te laisser glisser dans la descente en roue libre. Demain, ils mettront ton cercueil en terre Grand-Père, mais je sais que tu es déjà parmi les étoiles, dans la constellation de la Machine Pneumatique, il paraît que ça existe. C'est ce que Monsieur Lacaille nous a expliqué.

Et maintenant, assez pédalé... Et sans dopage ! Je me mets en stand-by !