vendredi 22 mai 2015

Un livre est éclos. A vos lectures !!!

Faux socle en trigone, c'est du CONCRET !


Première photo de l'ouvrage dont la couverture a été réalisée par Yoann Lossel

Les premiers exemplaires de mon nouveau roman Faux socle en trigone, tous frais tous beaux, sont arrivés et sont désormais disponibles. Je vous invite tous à découvrir mon nouveau roman. L'histoire d'un trio improbable traversant l'Europe et le 20e siècle sur les traces des soldats perdus de la Grande Guerre. J'espère que vous prendrez plaisir à dénouer le fil de l'histoire racontée à trois voix. Trois possibilités (pour l'instant) de vous procurer l'ouvrage :
1. En m'adressant directement un chèque de 22,00 € ou 25,00 € pour un envoi postal en mentionnant vos coordonnées postales.
3. Sur le site des éditions du Masque d'Or : http://www.scribomasquedor.com/
 
Je vous souhaite d'ores et déjà de belles évasions en lectures,
Gérard Lossel


               Et maintenant, un peu de détente avec ma dernière nouvelle ci-dessous :



Comme chaque matin, lorsqu'il allait travailler, il enfila son manteau, sortit en laissant claquer la porte cochère puis se dirigea vers l'arrêt de bus le plus proche. Mais ce jour-là, son réveil n'avait pas sonné. C'est la lumière du jour zébrant le mur à travers les persiennes qui l'avait tiré de son sommeil. En catastrophe, il avait sauté dans son pantalon tire-bouchonné, le même que la veille, boutonné sa chemise à la va-vite et avalé une tasse de café froid. Sans même passer par la salle de bain, il avait dégringolé les trois étages de son immeuble cossu du boulevard Guist'hau où il avait trouvé à se reloger dans un modeste 30 m² acquis à prix d'or. Il allait encore se faire alpaguer par le Cerbère qui ne manquerait pas de lui faire remarquer son retard et sa tenue négligée. Il ne comprenait pas pourquoi le jeune DRH recruté par sa banque l'avait pris en grippe. Un jeune loup aux dents longues fraîchement émoulu d'une grande école de commerce, de son vrai nom Hubert Lecerf, que Franck avait rapidement rebaptisé le Cerbère tant il avait l'impression de franchir la porte des enfers quand il le croisait pour rejoindre son bureau.

Faut dire que depuis deux ans, Franck se sentait dans une spirale négative. Il avait passé la quarantaine. Ses enfants avaient quitté le nid familial juste avant que celui-ci n'explose. Le nouveau patron de la banque l'avait rélégué dans un rôle subalterne de traqueur de clients endettés. En un mot comme en cent, les ennuis volaient en escadrille et rien ne semblait pouvoir les arrêter. Franck avait petit à petit baissé les bras et s'était résigné à une vie de quadra solitaire et dénué d'ambitions. Une petite vie grise de bureaucrate, rythmée comme du papier à musique, entre l'arrêt Mondésir où il montait dans le chronobus C6, jusqu'à l'arrêt Embellie, bien au-delà du stade de la Beaujoire. De là, il rejoignait à pied en un dizaine de minutes le siège de la banque. « De Mondésir à Embellie et d'Embellie à Mondésir, tout un programme pour si peu de résultats », pensa-t-il ce matin-là, encore engourdi de sommeil. Ce n'est qu'au bout d'un quart d'heure d'attente que l'inquiétude le gagna. Il se fit la réflexion que les rues étaient bien désertes et qu'il était toujours tout seul à l'arrêt de bus. Il connaissait les horaires par cœur. Il savait déjà qu'il avait raté le 7 h 10. Mais il ne pouvait pas avoir manqué le 7 h 19. Encore moins le 7 h 27.

Quelque chose ne tournait pas rond. Il était là avec son manteau d'hiver alors que le soleil dardait ses chauds rayons dans le ciel. Le feuillage des arbres était d'un vert profond et un air chaud s'élevait de l'asphalte. « Y'a plus d'saison, se dit-il. Ce n'est même pas l'été indien. Ce serait carrément les tropiques à Nantes. » Il se souvint que la veille, il frissonnait sous le crachin et que le jour ne s'était vraiment levé que quand il était descendu du chronobus. Il se souvint aussi avoir marché sur un tapis de feuilles mortes entre l'Embellie et la rue du Bêle. Un temps d'automne bien typique des bords de Loire. Et ce matin, il avait l'impression que l'été faisait son retour par la porte de service. Et ce bus qui n'arrivait toujours pas ! Et le Cerbère qui serait là à l'attendre, tapotant sa montre pour bien lui signifier que son heure serait bientôt arrivée. L'heure où la banque n'aurait plus besoin de ses services. Il en était là de ses réflexions quand il vit enfin déboucher au loin la silhouette massive du C6

Franck s'engouffra dans le bus, adressa un salut furtif au conducteur en lui présentant sa carte d'abonnement. Au moment de ranger son document dans la poche de son manteau, son geste resta suspendu. Il venait de s'apercevoir qu'il était le seul et unique passager, là où les autres jours il fallait jouer des coudes pour se frayer un passage parmi les groupes d'étudiants rejoignant les grandes écoles d'Atlanpole. Décidément, quelque chose ne tournait pas rond. Franck osa une question discrète au chauffeur.

    • Excusez-moi. Pouvez-vous me donner l'heure ?
    • 7 h 48.
    • Pour un vendredi, on ne peut pas dire qu'il y ait foule.
    • Ah non, monsieur, d'autant plus qu'on est mercredi.

Franck se sentit désarçonné. L'heure correspondait bien à celle que lui indiquait sa montre. Pourquoi le conducteur lui a-t-il dit qu'on était mercredi ? Il se rappelait pourtant bien avoir quitté son bureau la veille avec la perspective d'une journée à tirer avant le weekend. Il était exceptionnellement descendu du bus place du Cirque. Il avait remonté à pied une partie du Cours des Cinquante Otages jusqu'à la librairie Durance pour s'apprivisionner en lectures. En quittant le magasin, une averse cinglante l'avait saisi au vol. Il s'était réfugié dans le premier bar venu. S'était même dit que le nom du Sur-Mesure était plutôt bien trouvé.

A l'arrêt Saint-Pierre, Franck éprouva un début de soulagement. Il ne serait plus le seul passager à bord puisqu'un couple monta dans le bus et prit place sur une banquette. Il allait cependant déchanter rapidement quand à l'arrêt Cambronne il se retrouva à nouveau en voyageur solitaire. Il préféra s'abandonner dans son livre commencé la veille. Faux socle en trigone en était le titre mais Franck était incapable de se rappeler le début de l'histoire. Il avait dû s'endormir dessus, mais le compostage du ticket de bus lui servant de marque-page le réconforta. Il était bien daté du jeudi 19 novembre 2015. Il se replongea dans sa lecture pour n'en émerger qu'après la roseraie de la Beaujoire. Encore deux arrêts et il était arrivé. Il se prépara mentalement à affronter le Cerbère. Curieusement, plus aucune feuille morte ne jonchait le trottoir de la rue du Bêle. Les arbres avaient leur habit vert d'Immortels de l'académie des sciences naturelles.

Quand il arriva devant la banque, le parking lui parut soudain bien désert. Une nouvelle fois le doute l'assaillit. Un homme pas très grand, vêtu d'un long manteau resserré à la taille par une large ceinture et coiffé d'un chapeau aux bords démesurés patientait devant l'entrée principale du bâtiment. Franck se figea. Il avait déjà vu cette dégaine quelque part. Lui revint en mémoire la petite heure passée la veille au soir au Sur-Mesure en attendant que cesse la pluie. Il s'y était attablé face à la fresque peinte sur le mur, avait commandé une Kwak, puis une Gulden Draak pour finir par une cuvée des Trolls. Plus il fixait le décor, plus il avait l'impression de s'y perdre. Il s'était mis à soliloquer en s'adressant au génie du bouillon brassicole peint au-dessus du chaudron. Il s'adressait à lui comme à un vieil ami :

    • Tu t'en fous toi ! T'as pas un Cerbère qui te pourrit la vie. T'as des brunes et des blondes à volonté. Eh bien, tu veux que j'te dise. Je donnerais tout ce que tu veux pour retrouver une vie qui vaut d'être vécue. Mille jours pour une nouvelle vie, ça ne te chante pas. Tu t'en fous toi, accroché au mur à regarder les autres s'enfoncer et à fanfaronner avec tes disciples de la cervoise. Tiens, à la tienne...

Il avait préféré s'arrêter là quand il avait croisé le regard commiséreux du garçon de café. Pourquoi cela lui revenait-il à l'esprit ce matin alors qu'il était prêt à franchir le seuil de sa banque honnie. L'homme s'approcha de lui et le salua en retirant son chapeau.

    • Bonjour Franckie, je t'attendais.
    • Pardon ? On se connaît ?
    • Et même très bien.
    • Excusez-moi, mais je suis en retard.
    • Ce n'est pas bien grave pour un 15 août.

Franck resta interloqué, les bras ballants, la bouche hébétée. Il fixa plus en détail l'homme qui lui barrait la route. Décidément, il avait un air de ressemblance certain avec le génie de la fresque du Sur-Mesure. Ce qui n'était pas pour l'avantager, mais qui augmentait le trouble de son vis-à-vis. L'homme reprit les choses en main. Franck avait de plus en plus chaud dans son manteau d'hiver.

    • Allons marcher un peu. Tu as tout ton temps.

Franck lui emboîta le pas machinalement. L'homme retira de sa ceinture une feuille de papier enroulée et la tendit à Franck. Celui-ci déroula le document et se mit à lire à voix haute :

Moi, Franck Estain, offre mille jours de ma vie à Dom Cervesa en échange de services rendus selon ma volonté.

Franck reconnut sans hésiter son propre paraphe au côté d'un Dca inconnu. Il ne comprenait rien à cette histoire et s'inquiéta pour sa santé mentale. Le petit homme ne lui laissa pas le temps de s'apesantir :

    • Tu vois Frankie. Moi je ne connais plus mon âge. Mais grâce à des gens comme toi, j'ai vécu mille vies. Le temps est venu de te rendre la tienne. On a fait du bon boulot ensemble. Tu crois être le vendredi 20 novembre 2015. Mais on est déjà le mercredi 15 août 2018. Je te laisserai le soin de compter. Mille jours pour une vie, c'est bien ce que tu voulais.

Avant même que Franck n'ait eu le temps de répondre quoi que ce soit, l'homme s'était engoufré dans la rue de la Grange-au-Loup et avait disparu. Franck retourna sur le parking de sa banque et n'y croisa qu'un vigile faisant sa ronde. Celui-ci s'arrêta à sa hauteur et lui asséna un « Bonjour Monsieur le directeur » bien obséquieux. Franck resta abasourdi. D'autant plus qu'il avait clairement reconnu le Cerbère descendu de son piédestal. Franck entrepris alors de retourner chez lui à pied. Une bonne marche pour lui remettre les idées au clair, rien de tel. Quand au bout de deux heures, il passa par la rue Beauregard, il pénétra dans le Sur-Mesure. La fresque était bien intacte. Le génie de la bière arborait un sourire énigmatique et, à un moment, Franck crut percevoir un léger clignement de l'oeil. Ce ne devait être qu'une impression. Il allait rentrer chez lui, piquer un bon somme et tout allait redevenir normal dans sa vie bien réglée.

Il poussa la porte cochère, côté ombragé du boulevard Guist'hau, remonta quatre-à-quatre les trois étages menant à son appartement. Quand il ouvrit la porte, une petite fille d'à peine de plus de deux ans se précipita dans ses bras en lançant un joyeux « Papa ! ». Une voix féminine lui parvint de derrière la cloison :

- Mon chéri, pourquoi es-tu sorti si tôt ce matin ? Pour un 15 août, tu aurais pu dormir un peu ?