vendredi 30 décembre 2016

Toutes voiles dehors vers 2017 !

Dans le sillage de Joshua... butiner le bonheur !

Et maintenant, mettons les voiles pour accoster en 2017 avec un peu de lecture...


Sillages et caps voilés

Ai-je bien fait d'acheter le journal ce vendredi matin ? Quand j'ai lu l'annonce « Vieille dame intrépide, téméraire, cherche compagnon ou compagne de voyage pour prendre le large. Contactez le 06-60-66-99-09. », j'ai sauté sur l'occasion. Après tout, qu'ai-je à perdre ? Ai-je bien fait de décrocher mon téléphone ? Je ne sais pas. Une drôle de voix a résonné à mon oreille : « Rendez-vous demain samedi à 20 heures sur le port face au voilier La BeReZina. Soyez à l'heure. Ne posez pas de questions. ». Me voici, sur le quai, face à l'horizon, à attendre la venue de cette « vieille dame intrépide ». Le soleil couchant donne à la mer des reflets cuivrés. Par précaution, j'ai tenu à avoir un peu d'avance sur l'horaire prévu. J'ai toujours eu besoin de savoir où je mettais les pieds. Face au port de Kerity, les camping-caristes s'installent pour goûter au spectacle des grandes marées d'équinoxe. Ces premiers jours d'automne me laissent un arrière-goût amer de fin d'un été qui avait pourtant si bien commencé.
Avec Berc'h, on avait réussi à décrocher deux jobs rêvés au camping de Lanven. Je n'avais jamais réussi à l'appeler Berc'hed, ni même Brigitte en bon français. Pour moi, elle était et elle restera Berc'h. Elle à l'accueil, moi comme animateur à l'école de surf et de char à voile. On se retrouvait le soir, quand les vacanciers désertaient la plage, à guetter les étoiles filantes et à tirer des plans sur la comète. Jusqu'à ce jour maudit du 24 août où ce fut Berc'h mon étoile filante. Ce mercredi-là, en me levant, je m'étais amusé du dicton du jour : « A la Saint-Barthélémy, la grenouille sort de son nid ». J'avais été obligé de bousculer un peu Berc'h pour qu'elle soit à l'heure à son poste. Elle m'avait paru plus maussade que d'habitude. Le soir, la grenouille était effectivement sortie de son nid et cela ne m'amusait plus du tout. On s'était retrouvé comme d'habitude pour voir le soleil allumer La Torche avant de plonger dans l'écume. Berc'h m'avait asséné d'emblée un des ces revers dont je ne me suis pas encore remis aujourd'hui. « Écoute Lex, - elle n'avait jamais réussi à m'appeler Alexis, écoute, tu vois, je crois que t'es un super mec, mais j'ai besoin d'aventure et d'élargir mes horizons. Je suis une fille intrépide, moi ! Renan me propose une place d'équipière. Tu sais qu'il a l'intention de faire le tour du monde sur les traces de Joshua Slocum... » Je ne l'écoutais déjà plus. La dernière étoile filante m'avait glissé entre les doigts et je n'avais rien vu venir.
Et me voilà là, un mois plus tard, juste un peu plus au Sud, à attendre une autre dame intrépide. Je me fais la réflexion que c'est peut-être ce qualificatif partagé avec Berc'h qui m'a poussé à répondre à l'annonce, moi qui suis loin d'être intrépide. Après tout, Berc'h était partie et les beaux jours avec. Mon contrat avait pris fin avec la saison d'été et tous les plans tirés sur la comète s'étaient envolés comme feuille au vent. Dans le port que j'arpente de long en large, les embarcations dansent au gré de la marée montante. J'ai repéré la BeReZina. Personne alentour. Mes quelques connaissances marines se limitent à la planche à voile. Bien peu pour un départ au long cours. Mais je suis prêt à donner de ma personne et à effectuer toutes les manœuvres, pourvu qu'on me guide. En repensant à Berc'h, j'ai pianoté sur mon ordinateur et j'ai appris que ce fameux Joshua dont elle est partie suivre la route, naviguait sur un sloop. La BeReZina serait-elle faite du même bois ? Toujours est-il que dans mes souvenirs, les images se superposent. Mes premiers cours de voile sur dériveur sont bien loin et ce ne sont pas mes prouesses de véliplanchiste qui font de moi un navigateur au long cours. En toute humilité, je me sens davantage moussaillon que capitaine.
Je sais que je peux encore reculer. Battre en retraite en rase campagne et m'éclipser ni vu ni connu. Mais, pour moi, ce serait une nouvelle Béréz... Je viens de faire le rapprochement. Le nom du bateau m'apparaît soudain comme un clin d’œil à mes récents déboires amoureux. Un appel du pied à conjurer le sort. Je décide d'affronter le mal par le mal. D'embarquer sur la BeReZina pour repartir de bon pied vers de nouveaux horizons. Et tant pis si je ne connais pas encore ma coéquipière ! Je m'imagine déjà, naviguant dans les eaux turquoise de Bora Bora ou sous le soleil des Açores, guettant les poissons volants ou débarquant dans une crique noyée de soleil. J'en suis là de mes rêveries quand une silhouette frêle et claudicante apparaît sur le pont de la BeReZina.
  • Par ici jeune homme !
Il n'y a personne d'autre que moi sur le quai. J'hésite. L'espace d'une seconde, je suis tenté de fuir, mais l'injonction me rattrape.
  • Alors, c'est décidé ?
  • Décidé quoi Madame ?
  • Prendre le large. C'est bien toi qui vient prendre le large ?
  • Je ne sais pas encore. Faut voir...
A cet instant je ne vois que la vieille dame. Sur ce point-là, l'annonce n'avait rien de mensonger. Une petite bonne femme voûtée et rabougrie, les yeux enfoncés dans les pommettes, le visage ridé et buriné sous une chevelure grise secouée par la brise. Elle me paraît encore plus vieille que vieille. Impossible de lui donner un âge. Pour ce qui est de l'intrépide et du téméraire, tout reste à voir. Par contre, autoritaire et volontaire, c'est tout vu.
  • Faut que je réfléchisse encore un peu.
  • Pas le temps de faire des manières. Appelle-moi Zina et basta ! Allez, grimpe !
Le ton de la voix est sans appel. Je ne peux qu'obéir à ce qui est autant un ordre qu'une invitation. En quelques pas mal assurés, me voilà sur le pont. Le soleil s'enfonce lentement dans l'océan. A quoi dois-je m'attendre maintenant ? Une nouvelle injonction ne me laisse pas le temps de tergiverser :
  • Écoute matelot, ici c'est moi qui commande. Si t'as besoin de quoi que ce soit, tu demandes à Zina. On met les voiles demain à l'aube.
  • Mais, c'est que …
  • T'occupes. J'ai tout prévu. Ta cabine est prête. Tu y trouveras un ciré et des vêtements chauds. Et même un nécessaire de toilette. Je sais bien que les matelots de ton acabit vous avez besoin de vous pomponner.
  • Et on va où ?
  • Pas de questions. On en parlera demain.
Je tente une dernière amabilité pour amadouer le pacha du navire :
  • En tout cas, il a fière allure votre sloop !
  • Sache matelot qu'on n'attrape pas Zina avec des boniments. Et sache surtout qu'un yawl n'est pas un sloop. T'as t'y donc pas vu le tape-cul en arrière du safran ?
Je préfère faire profil bas et m'avouer vaincu en matière de connaissances marines. Le caractère affirmé de Zina me plaît autant qu'il m'intrigue. Le sort en est jeté, j'accepte de relever le défi. Cette nuit-là, dans ma cabine, impossible de trouver le sommeil. Mille questions me taraudent : Qu'est ce qui pousse Zina à prendre le large ? D'où sort-elle ? Pourquoi m'a-t-elle choisi ? Serai-je à la hauteur de ses attentes ? Et surtout, est-elle capable de diriger la manœuvre ? L'idée d'affronter l'océan me paraît à la fois exaltante et terriblement angoissante. D'autant plus que celle que je ne peux m'empêcher d'appeler PachaZina me semble aussi cassante que les quarantièmes rugissants.
C'est au moment où je commence enfin à m'assoupir que trois coups secs frappés à la porte de la cabine me font me redresser en sursaut.
  • Debout matelot, il est l'heure de prendre le quart !
J'enfile à la hâte un des pulls déposés sous la couchette. Je suis obligé de replier les manches qui ballottent au bout de mes bras. J'ai la bouche pâteuse et les yeux qui piquent. PachaZina s'active déjà sur le pont.
  • J'ai vérifié les espars et les cordages. Je pense que tout est prêt. On va partir sur garde montante. Je te laisse défaire le nœud de cabestan.
Coup de bol, je sais ce qu'est un nœud de cabestan et je me mets illico à la manœuvre. J'ose un timide « Cap à l'Ouest ! »
  • C'est sûr qu'à l'Est on aurait vite fait de mordre la Grande Poiré !
Et pan, prends-toi ça dans les dents. On n'est pas encore sorti du port. Il est toujours temps de battre en retraite. Je pense que c'est autant l'orgueil que la curiosité qui me disent de ne pas abandonner maintenant. De toute façon une fois passé la pointe de Penmarc'h, il sera trop tard. Il ne restera que l'océan comme horizon. Ceci dit, je ne sais toujours pas vers où nous nous dirigeons. C'est Zina qui tient la barre et, le moins que l'on puisse dire, c'est qu'elle n'est pas du genre loquace, si ce n'est pour donner des ordres :
  • Hisse la grand-voile ! Déroule le génois ! Mets le chariot sous le vent !
Je m'exécute comme je peux. L'image de Berc'h vient interférer avec celle de Zina. Plus d'un demi-siècle les sépare mais tout les rapproche. Deux caractères bien trempés, le même besoin d'absolu et cette angoisse qui me hante de ne pas être à la hauteur des attentes. Tenir coûte que coûte. Commencer à prouver à moi-même qu'en toute circonstance je peux me montrer digne de la confiance que l'on m'accorde. Zina ne me laisse pas le temps de m'appesantir dans mes réflexions.
  • Qu'est ce que t'attends pour choquer la grand voile. Paré pour l'empannage ?
J'essaie de ne pas paniquer. De me rappeler des rudiments du cours de navigation des Glénans. Zina se contente de rester assise à la barre, manœuvrant avec un naturel et une douceur qui contrastent avec ses directives qu'elle est obligée de hurler pour que je les reçoive. Au loin, j'aperçois un phare qui semble surgir de l'océan.
  • La Jument, me crie Zina.
  • Comment ?
  • La Jument, Ouessant !
Me revient alors le dicton proféré par un ancien marin rencontré à la Pointe du rade à Plozévet, un soir de blues de fin d'été : « Qui voit Ouessant voit son sang, qui voit Molène voit sa peine... » Pour l'heure, j'étais plutôt à la peine, avec un bon coup de noroît qui s'annonçait en mer d'Iroise. J'avais rêvé d'escapade dans les mers du Sud et me voilà embarqué vers les coups de boutoir de l'Atlantique nord. Car j'ai bien compris que la barre nous dirige tout droit vers les îles britanniques et au-delà. J'ose une nouvelle tentative auprès de Zina pour en savoir un peu plus. Je lui propose de la relever à la barre pour qu'elle puisse aller se reposer :
  • Quel est le cap à suivre ?
  • 64 Nord, 22 Ouest.
  • Et on peut savoir ce qui nous y emmène ?
  • Pourquoi pas ?
Zina se mure à nouveau dans le silence, me laissant là avec une réponse en forme de question. J'ai l'impression qu'elle veut me mettre à l'épreuve. Je sens le vent de la révolte se lever en moi.
***
Des jours et des jours maintenant que nous naviguons. Entre Zina et moi, le rituel est toujours le même. Elle dirige. J'exécute. Plus nous nous enfonçons vers les zones boréales, plus je la sens ragaillardie. Quand il m'arrive de fixer mon regard sur elle, j'ai presque l'impression qu'elle rajeunit. Le cheveu est moins gris, le teint plus juvénile et, même, le pas plus alerte. Pour ma part, ce serait presque l'inverse. Avec ma barbe mal taillée faute de miroir sur le bateau, mon haleine qui ne doit pas être de la première fraîcheur et cette patte que je traîne depuis un violent coup de bôme récolté en essayant de réparer l'écoute de grand-voile, je me fais l'effet d'un vieux loup de mer. Toujours est-il que je prends goût à cette navigation silencieuse où l'économie des mots va de pair avec l'exploration des âmes. Parfois l'image de Berc'h se superpose à celle de Zina. Je retrouve dans le regard et dans les gestes de ma compagne de traversée la même détermination et la même volonté d'absolu que dans les mots de Berc'h qui résonnent dans mes souvenirs.
Les heures passées à la barre me laissent tout le temps de me retourner sur les mois passés. Je me souviens que Berc'h m'avait maintes fois raconté des histoires de marins disparus, d'un ancêtre perdu par une terrible nuit de tempête d'équinoxe. Elle ne m'avait cessé de vanter la bravoure et la soif d'aventure des navigateurs au long cours. Un soir elle m'avait un peu provoqué en me demandant si je serais capable d'en faire autant. « Pourquoi pas », avais-je répondu de façon évasive. Aujourd'hui, ce « Pourquoi pas » prenait tout son sens. Sauf que Berc'h était partie sur les traces de Joshua avec ce Renan que je ne connaissais pas. J'eus aimé, en cet instant précis, que Berc'h me voit diriger la BeReZina, virer de bord, réduire la voilure ou chercher le vent. Que ne l'ai-je davantage écouté quand il le fallait ? Au lieu de cela, me voilà embarqué avec une équipière qui pourrait être ma grand-mère. Intrépide soit, mais la témérité n'efface jamais le poids des années.
  • Pas le moment de louvoyer matelot ! Paré à virer face au vent et à affaler les voiles ?
La voix de Zina a vite fait de me ramener à la réalité.
  • Pourquoi ?
  • Pourquoi pas ? On a bien droit à une escale, non ?
A l'horizon, se détache un morceau de terre surgissant du gris de l'océan.
  • Où sommes-nous ?
  • Straumfjördur.
  • Pardon ?
Zina me répète une deuxième fois ce nom imprononçable. Puis, à mon grand étonnement, se tourne vers moi et se met à me parler. Elle me raconte l'histoire d'un père qu'elle n'a jamais connu. D'un père héroïque disparu en mer avant même qu'elle ne soit née. D'un père élevé au rang de héros par sa mère et qui fut du dernier voyage de Jean-Baptiste Charcot. « Ça te parle ? » En toute franchise, ça ne me parle pas beaucoup, mais je n'ai pas envie d'interrompre Zina dans son récit. En quelques minutes, j'ai l'impression d'avoir entendu plus de mots sortir de sa bouche que lors des dix jours écoulés. « Je suis venu rapporter à mon père la bague qu'il avait offerte à ma mère avant d'embarquer pour son dernier voyage. Je devais naître six mois plus tard. » Je la vois retirer une bague qu'elle portait à son annulaire et la jeter par-dessus bord.
  • Mais pourquoi ici Zina ?
  • Et pourquoi pas ?
Et voilà, toujours la même rengaine. Chaque fois que j'essaie d'en savoir un peu plus, la conversation s'achève sur un Pourquoi pas ? Car, une fois de plus, Zina s'est renfermée dans son mutisme. L'entrée dans ce petit port d'Islande se fait dans un silence impressionnant. J'accompagne Zina jusqu'à l'église de Landakot. Quand elle ressort, je la sens transfigurée, comme soulagée d'un poids qui la courbait. Elle me paraît soudain plus vaillante, presque belle sous ses traits de vieille dame. Une fois encore, c'est l'image de Berc'h qui vient me hanter. Elles ont en commun ces yeux qui pétillent et cette fossette sur la joue droite que je viens de remarquer chez Zina. Il faut dire que c'est la première fois que je la vois esquisser un sourire. Pas le temps de m'appesantir, il est déjà temps de remettre les voiles.
  • Et maintenant on va où ?
  • Réjouis-toi matelot ! Cap au Sud !
  • C'est à dire ?
  • 43 Nord 66 Ouest.
Pour le Sud, on peut faire mieux. On sera encore loin des tropiques. Tout juste un peu plus bas que notre point de départ. Pour l'Ouest, on ne sera pas loin de la longitude de New York. C'est donc bien la traversée de l'Atlantique que nous poursuivons. Qu'est ce qui peut bien attirer Zina de l'autre côté ? Je tente bien de lui tirer les vers du nez. Mais, c'est un peu comme écoper une voie d'eau avec un dé à coudre. Peine perdue et mission impossible. La seule réponse que j'ai obtenue est :
  • Mets les voiles et à nous le large !
Au moins ai-je réussi à gagner la confiance de Zina. Elle s'autorise maintenant à lâcher la barre et à dormir dans sa cabine, me laissant seul à la manœuvre. J'avoue que cela ne me déplaît pas et que je prends même du plaisir à tirer des bords et à respirer le parfum de l'aventure. Sûr que Berc'h ne me reconnaîtrait pas et serait fière de me voir lofer, choquer la grande voile ou empanner comme un marin aguerri. Que ne l'ai-je écoutée plus tôt ? C'est avec moi qu'elle naviguerait sur la route de Slocum. Mais elle est partie avec Renan et je suis resté au port. Zina est venue trop tard et je ne peux que m'en mordre les doigts. Mes instruments de navigation m'indiquent l'approche de la Nouvelle-Écosse, Canada côte Est. Tout ça pour ça ! Dire qu'on a quitté la Bretagne, longé les îles britanniques, effleuré l'Islande, pour nous retrouver en Nouvelle-Écosse. Zina me regarde affaler les voiles. J'ai l'impression que son visage s'est adouci. Je la vois sourire pour la première fois. Elle s'autorise même un : « Bien manœuvré matelot ! » Je n'en attendais pas tant.
L'entrée dans le port de Yarmouth se passe sans encombre. On a laissé à bâbord le Cap Forchu. Le ciel est gris comme un jour d'hiver mais j'ai du soleil dans le cœur. Je me sens léger comme les alizés. J'ai l'impression de revivre après une longue nuit. Pourquoi ici ? Pourquoi Yarmouth ? J'amarre la BeReZina à côté du Kalonek Spray à bord duquel un jeune matelot recoud les voiles. Il me dévisage comme s'il me connaissait. Je le salue d'un geste assuré et je saute sur le quai. Je vois Zina engager la conversation avec notre voisin. Il parle un français bien de chez nous. Je saisis quelques mots au vol, poussés par le vent côtier. Il y est question de traversée, de grand largue, de vent arrière et d'équipier et de tour mort. Du langage purement technique que Zina maîtrise aussi bien que notre voisin de port. D'un signe de la main, celui-ci m'invite à monter à bord de son ketch. L'homme a le même regard déterminé que Zina, mais il fait bien une tête de plus et sa carrure sportive me fait davantage penser à un surfeur hawaïen qu'à un coureur des mers.
  • Bravo mon gars. T'as été courageux d'embarquer avec la vieille !
Je me retourne pour vérifier où est Zina. Celle-ci a dû disparaître dans sa cabine. « Encore heureux qu'elle n'ait pas entendu l'appréciation vacharde du patron du Kalonek Spray », pensé-je. Je tiens malgré tout à défendre l'honneur de mon équipière.
  • Ça ne paraît pas comme ça. Zina n'est sans doute plus dans sa première jeunesse, mais elle ne manque pas d'énergie.
  • Quand même ! Dans une traversée, on sait quand on part, on ne sait jamais quand on arrive.
  • Pas avec Zina. Elle avait tout calculé avant le départ. Un sacré bout de bonne femme, je te jure !
  • T'aurais pas un peu le béguin pour elle ? me rétorque le grand gaillard en me lançant une œillade appuyée.
  • Juste énormément de respect et même de l'admiration. Crois-moi, en quelques jours de navigation avec elle, j'ai plus appris que tout ce que je savais auparavant. Je me sens même prêt à reprendre le large immédiatement. Même le Pacifique ne me fait plus peur !
Un peu présomptueux sans doute, mais je n'ai plus envie de m'en laisser conter par quiconque. Surtout pas par un gaillard qui n'a même pas eu l'élégance de se présenter avant de me demander un coup de main pour finir sa pomme de touline avec un poing de singe. Pile le nœud que Zina m'avait expliqué avant d'accoster. Si le gars essaie de me tester sur ce coup-là, il en sera pour ses frais. En fin de compte, je le voyais plus grand qu'il ne l'est en réalité. Pendant que je m'affaire sur la corde, je le sens qui m'observe avant de lâcher :
  • Tu sais que si tu es capable de faire un porte-clé en pomme de touline, c'est tout ton amour pour la voile que tu affirmes.
Moi, à cet instant, ce serait davantage mon amour pour Berc'h que je voudrais pouvoir affirmer plutôt que de faire le beau devant un marin baraqué qui me ramène immanquablement à ce Renan dont elle a suivi le chemin. Berc'h est plus que jamais présente dans mes pensées. Comme si elle ne m'avait jamais quitté. Il faut que je me fasse une raison. Il est trop tard. C'est Zina qui m'a fait prendre goût à la navigation. C'est Zina qui m'a amené jusqu'ici. A Yarmouth ! J'ose une question à … Je me rends compte que je ne connais toujours pas le nom de mon voisin de quai.
  • Et toi, qu'est-ce qui t'a fait venir à Yarmouth ?
  • Le courage ! D'ailleurs Kalonek ne veut rien dire d'autre que courageux, en breton.
  • Parce que tu es breton ?
  • Pourquoi ? C'est un péché ?
  • Au contraire ! Et tu t'appelles ?
  • Appelle-moi Breurkaer, ça ira comme ça !
Il me serre vigoureusement la main quand je lui tends la pomme de touline effectuée à la perfection.
  • Bienvenue dans la grande famille... Et en avant pour de nouvelles aventures ! D'ailleurs quels sont tes projets ?
Je suis pris au dépourvu par sa question. Mes projets ! C'est que je n'en sais rien. On n'en a pas parlé avec Zina. D'ailleurs, je ne suis même pas sûr de vouloir continuer ma route avec Zina. Je crois que le temps est venu de voler de mes propres ailes, ou de naviguer de mes propres voiles. Comment vais-je pouvoir annoncer cela à Zina ? Je me rends compte que ça fait un bon moment qu'elle a disparu. Je m'apprête à répondre à, comment déjà ? Breurkaer, drôle de nom, quand Zina réapparaît sur le pont, non pas de la BeReZina, mais du Kalonek Spray. Elle me paraît radieuse et parfaitement détendue. Ce n'est pas à moi qu'elle s'adresse, mais à l'autre.
  • Je vais te les dire, ses projets. Il va repartir d'ici sur la BeReZina, direction les Açores, puis Gibraltar, les Canaries et le Brésil avant de s'attaquer au Pacifique.
  • Seul ?
  • Non, avec son équipière !
  • Un nouveau Joshua.
  • Exactement ! Lui aussi était parti d'ici sur le Spray.
Je reste bouche bée, incapable de placer la moindre parole. Pourquoi me torturent-ils avec ce Joshua honni qui a fait tourner la tête à Berc'h. Berc'h, mon étoile, qui apparaît elle aussi sur le pont. Ça y est, je perds la tête. C'est le vent marin ! Mais non, c'est bien elle qui s'avance vers moi en arborant un large sourire.
  • Et ton équipière, ce sera moi ! Maman va rentrer en Bretagne avec Renan sur le Kalonek Spray.
  • Renan ?
  • Oui, Renan, mon frère qui se fait appeler Breuerkaer. Un petit jeu entre nous.
  • Un petit jeu ?
  • Oui, Breuerkaer signifie beau-frère. Ce que tu seras pour lui si nous deux... Enfin tu vois ce que je veux dire ?
Je suis abasourdi par tout ce qui m'arrive en si peu de temps, partagé entre le bonheur de revoir Berc'h, le soulagement et une totale incrédulité. C'est Zina qui me sort de mon état d'hébétude :
  • Berc'h m'avait fait part de l'attachement qu'elle avait pour toi. On a monté notre petit plan à trois pour te faire tomber dans le filet. Et je dois dire que tu t'en es parfaitement sorti.
  • Maman m'a expliqué à quel point tu t'étais impliqué dans la navigation. Je crois que tu es prêt maintenant à suivre avec moi la voie de Joshua Slocum. A nous deux la vie !
Je ne trouve pas les mots pour répondre, mais en regardant par-dessus l'épaule de Berc'h qui s'est collée contre moi, je comprends enfin la signification de la calligraphie si particulière de la BeReZina. Be pour Berc'h, Re pour Renan, et Zina... pour Zina. Il ne me reste plus qu'à rajouter Lex pour partir naviguer vers la vie.

vendredi 4 novembre 2016

Les Bisounours se rebiffent...

... Sortons nos griffes !


Marre d'être mis à toutes les sauces ! L'insulte suprême d'aujourd'hui est d'être traité de Bisounours. Sur toutes les antennes, on n'entend plus que ça ! Bisounours par ci, Bisounours par là ! Et ta soeur ? Alors, Bisounours d'ici, Calinours d'ailleurs, Care bears de là-bas, Osos amorosos ibères (rien pour attendre), Glücksbärchis germains ou Szives Boczok hongrois (ou on ne groit pas), montrons-leur qu'on peut être des Bisounours rapaces. Sortons nos griffes de nos poches, nos graffs et nos greffes d'Apaches pour qu'ils comprennent une fois pour toutes qu'il ne faut pas trop chatouiller un Bisounours hibernant. Suivons aujourd'hui le béret dub père Pedro pour entamer la marche du front de libération des Bisounours et es nains de jardin. En avant la Zique !

Suivez le béret !

Marchand de mots il était, les maux il récoltait en marchant. Il avait vu tant et tant de misères tout autour de la Terre. Il devait reprendre son bâton de pèlerin pour réconcilier ses frères humains. Tout en foulant les herbes sèches, il se voyait entrelacer les verbes revêches. Ainsi tressés, les mots en seraient tout retournés. La marieur de mots voulait réussir l'amalgame des mots d'Est et des mots roses, l'harmonie des mots dits et des mots tus, mais pas de bouche cousue. Les jardiniers chanteraient les mots des râteaux et tout le monde crierait bravo. Des mots en bic, il en ferait des grigris éloignant les mots-cris. Dans les méandres de son ordinateur, il se mit à cibler les mots-coeurs pour chasser les peurs. Il avait lu Le Gai Savoir de Nietzsche. Sa philosophie à lui était un chouïa plus kitsch. Si la vie était un manège, il devait en apprendre tous les arpèges. Il s'embarqua sur un bateau à voiles vers les régions boréales. Dans les idées, il avait de la suite. Il voulait connaître les Inuits. La banquise était son tremplin sur la voie de son destin. Maintenant qu'il avait des mots l'air, il pouvait arpenter les routes buissonnières. Des glaces de l'Alaska au pays des kiwis, il glissa sur Hawaï wiki wiki. Il y croisa sa belle. Elle avait les yeux cannelle. Il devint fou des mots d'elle. Des sourires et des hommes, il en avait fait son pensum. Même en Grèce où le cœur n'était pas à la kermesse. Il lui fallut affronter les mots lestes des jours de peste. Garder le cap, même quand les mots râlent, c'est fatal ! A force de respirer des mots l'air, il eut des millions de followers. C'est ainsi que naquit la nouvelle Babel, sans mur et sans Shrapnel. Un peu par sérendipité, il avait recousu l'humanité. Et quand il fut bien fatigué, il se coucha dans la plénitude. A compter de ce jour, il put se contenter des mots d'alité. Leskine était son nom et la musique des mots sa passion. Après toutes ces vicissitudes, il pouvait partir en totale zénitude. On enveloppa dans un linceul de mots Leskine pour son denier voyage par-delà les nuages.
 
Pour la suite, un peu de lecture au pays de Pedro (suite des précédents épisodes) :

      C'est sur la route du retour que les soupçons ont germé dans la tête de Pedro. L'Outil en Main, L'Hermenault, tout cela ne peut pas être une coïncidence. Trop de paramètres concordants pour que Louise soit totalement étrangère à tout cela. C'est en effet là que Loulou s'est investie pour transmettre son savoir-faire. Et comme par hasard, c'est là que Marie Patch a été envoyée pour un reportage. Trop joli pour être honnête ! Encore une de ces entourloupes dont Pedro se méfie. Il n'a jamais trop su sur quel pied danser. A la fois, Louise a toujours agi en douce pour venir à sa rescousse et pour l'aider à avancer. Mais, sous un autre angle, elle a toujours su tirer les marrons du feu pour lui voler la vedette. Ange ou démon ? Ou les deux à la fois ? Il ne le saura jamais et c'est tant mieux car c'est ainsi qu'il a construit sa vie. Autant ne plus y penser et se concentrer sur le nouvel élément lâché par Marie Patch.
Neyens, le nom ne lui évoque rien. Et comme il a fait vœu de chasteté, rapport aux nouvelles technologies, Pedro ne pourra que s'en remettre à Loulou pour effectuer de nouvelles recherches. D'où l'intérêt aussi à ne pas trop la titiller avec l'histoire du Courrier Yonnais. En attendant son retour, il s'en va une nouvelle fois observer les photos trouvées près de l'armoire abandonnée. Pourquoi présentent-elles toutes ce même encadrement irrégulier ? Comme si un cache avait obstrué les angles de l'objectif. Un cache en forme d'oeuf en négatif. De plus, les photos ont un grain particulier, légèrement flouté, qui ne peut pas être dû à l'effet du temps. Encore un mystère à éclaircir. Le mieux serait de pouvoir aller jusqu'à Limoges. Pedro y a bien pensé. Mais la tâche lui paraît insurmontable. A moins que ?
Une idée des plus farfelues vient d'éclater dans le cerveau fécond de cet artiste qui s'ignore. Pas du meilleur goût soit ! Mais ce que l'on demande avant tout à une idée, ce n'est ni son goût ni son odeur. Pedro se sent pris d'une frénésie soudaine. Il arrache plus qu'il ne défait les tentures qu'il avait étalées sur son capharnaüm. Il s'en va fouiller dans son stock de planches pour en choisir les plus belles. Il toise, il mesure, retoise, remesure, aligne des chiffres sur son calepin, dessine, redessine. Sur son atelier il aligne scie, marteau, visseuse, pointes et vis. Puis, d'un coup s'arrête, se frappe la tête :
  • Tout cela est bien beau, mais le transport ?
Une question que Pedro préfère éluder pour le moment. A chaque instant sa peine ! Ce qui, à ce moment précis, retient toute son attention, c'est la réalisation de cette fichue armoire mystérieuse dont il essaie de comprendre le fonctionnement lu dans un vieil ouvrage ramené d'une de ses expéditions matinales chez Fourny. Un livre dédicacé par un certain Robelly, prestidigitateur et illusionniste au pedigree plus long que le bras selon la liste des distinctions énumérée sur la page de titre.
  • Trucs et grands trucs, je veux bien, mais ça manque de précision !
Voilà Pedro qui se met à soliloquer en lisant et relisant le tour de l'armoire mystérieuse. Une illusion qui porte bien son nom pense-t-il. « Comme le chat retombe toujours sur ses pattes, le Pedro retombe toujours sur ses idées fixes. Tu pars d'une armoire et tu retourneras à l'armoire. Mais le mystère est toujours là ! »
  • Ben alors Pedro, tu parles tout seul maintenant. Je te sens bien en peine !
Elle, c'est Louise qui apparaît dans l'embrasure de la porte de l'atelier. Fière comme si elle avait découvert le 7e continent. Elle ne peut s'empêcher une petite allusion à son occupation de la journée.
  • Je te retrouve ici avec l'outil en main, alors que moi je viens juste de le quitter L'Outil en main. Et tu sais quoi ?
  • Pas encore, grommelle Pedro, mais je sens que tu meurs d'envie de me le dire.
  • Ben figure-toi qu'on a eu les honneurs de la presse. Très sympa d'ailleurs cette Marie Patch. Même si je pense qu'elle aurait besoin d'un peu de repos.
  • Ah bon !
  • Be, c'est tout ce que tu trouves à dire !
  • Je ne vois pas ce que je pourrais dire de plus. D'ailleurs, je ne vois pas à quel titre, le Courrier Yonnais vient gâcher du papier pour des sujets aussi communs.
  • Alors là tu exagères, Parce que tu crois que ton histoire bidonnée de dépôts d'ordures sauvages méritait davantage ? D'ailleurs, j'y pensais depuis bien longtemps, à valoriser notre action à l'association.
  • Et bien sûr, c'est juste par hasard que tu as fait appel à Marie Patch ?
  • Juste par hasard. Je suis tombé sur son numéro de portable en vidant une poche de ton pantalon avant de le mettre au lavage.
  • Mensonge. J'avais bien pris soin de glisser sa carte dans mon portefeuille. Mais je savais que tu ferais tout pour rencontrer Marie.
Louise se rend compte qu'elle vient de se trahir. Vite, changer de sujet pour passer à autre chose et retrouver l'aigre-doux des journées à la Pousselisière.
  • M'en veux pas Pedro, c'est pour t'aider que je fais tout ça !
  • Mmmouais...
  • Dis-moi plutôt ce que tu mijotes !
  • Aucun rapport avec notre affaire. J'essaie simplement de comprendre ces grands tours de prestidigitations.
  • Pourquoi, tu veux te lancer dans la magie ? Tu ne serais pas un peu vieux pour te lancer dans le monde du spectacle.
Pedro se pousse du col, empoigne une tenture noire qu'il avait utilisée pour masquer le désordre de son atelier et en recouvre une Louise médusée.
  • Et maintenant ! And now, ladies and gentlemen, la disparition de Miss Louisette !!!!
Louise enlève elle-même la cape qui la recouvre. Elle fait la grimace et secoue la tête avec fatalité :
  • Mon pauvre Pedro, t'as encore du boulot pour devenir le roi de l'escamotage. Remarque, quand tu seras au point on pourra peut-être imaginer un grand festival de magie à Beaulieu : Le poids des taches et la taille des illusions, ça f'rait bien comme titre, non !
Elle jette la cape sur l'établi et se retourne d'un geste dédaigneux. Pedro hausse la voix pour être sûr d'être entendu :
  • Robelly, c'est le nom du magicien. Et Neyens, c'est le coupable !

lundi 3 octobre 2016

Les vertus cardinales des mots cris et des mots coeurs !

L'instant d'avant ....

Des claves pour mon clavier...

Ni Carnac, ni Stonehenge, juste un lever d'automne sur le parc du Grand-Blottereau !

        C'est décidé ! Je m'en vais remettre de l'encre dans l'encrier, des claves dans mon clavier, des octaves dans mon octavier et de l'ordre dans mes idées. Il serait temps de retrouver des mots l'Est éthique et des phrases les vertus cardinales. Nécessité vitale pour ne pas perdre le Nord et finir à l'Ouest. Si, quand on n'a rien à dire il faut savoir fermer sa gueule comme le disait Coluche, il en est de même pour l'acte d'écrire. Quand on n'a rien à écrire, rien ne sert de faire semblant. Je préfère m'en tenir à ce que disait Camus dans son discours de réception du prix Nobel de littérature, le 10 décembre 1957, à Stockholm : "La vérité est mystérieuse, fuyante, toujours à conquérir. La liberté est dangereuse, dure à vivre autant qu'exaltante. Nous devons marcher vers ces deux buts, péniblement, mais résolument, certains d'avance de nos défaillances sur un si long chemin." Au moment où l'auteur de L'étranger prononçait ces mots, je poussais mon premier cri. Aujourd'hui, je pousse subrepticement ce modeste écrit en essayant tant bien que mal de suivre le même but : aligner des mots cris pour alerter le monde endormi et bichonner les mots coeurs pour mettre de mon côté les rieurs. Comme qui dirait : la tête dans les étoiles et le Sud au cul, et les bon comptes font les bons amis...


Pour la suite, je te propose de retrouver Pedro et Louise dans leurs pérégrinations :

  Pas raté !
  • Louisette, viens m'aider à décharger le coffre ! hèle Pedro d'un ton guilleret.
  • Pourquoi, c'est aussi lourd que ça !
  • Tiens regarde, pour une affaire, c'est une affaire !
Alignés dans le coffre boueux de la Mazda, six boîtes de conserve de 5 kg d'olives.
  • Dis un prix !
  • Toi, dis-moi plutôt ce qu'on va en faire !
  • T'es vraiment rabat-joie. Tu ne te rends même pas compte de l'aubaine. Je devrais aller voir plus souvent à Mille Stocks.
  • Surtout pas, réplique Loulou en agitant frénétiquement la main. Mais dis-moi Mon Pedro, MP, je peux t'appeler MP ?
Pedro suspend son geste. Il n'a pas compris l'allusion et se demande bien où elle veut en venir. Qu'est-ce qui lui prend de l'appeler MP.
  • MP, Pedro, ça ne te dit rien ?
  • Ma poule, mon poussin...
  • Arrête de me prendre pour une idiote. MP, la signature du Courrier Yonnais.
Ça y est. On y vient. Pedro avait bien lu l'article aux aurores, quand Louise dormait encore les poings fermés. Il savait qu'il allait avoir droit à l'interrogatoire, mais sa virée chez Mimile, le magasin où on trouve des cents et des milles, lui avait fait oublier ce détail.
  • Alors, c'est qui MP ? insiste Louise.
  • Une journaliste du Courrier. Marie Patch...
  • Le poids des mots...
  • Non, le coût du tabac !
  • J'y comprends rien !
  • C'est pas grave. Laisse tomber.
  • En tout cas, l'idée de l'article était bien trouvée. Mais alors la photo...
  • Ben quoi ?
  • Pas joli de mettre en scène un faux dépôt sur la voie publique.
  • Et alors, je n'allais quand même pas leur montrer mes bonnes adresses. C'est comme pour les champignons.
  • Oui, mais ça s'appelle de la désinformation. Et tu en es le complice. Voire même l'instigateur. Et tout ça pour quoi ?
  • Donnant donnant. Marie Patch s'en va faire sa petite enquête à la mairie d'Aizenay. Moi, je témoigne incognito et je récolte quelques infos et tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes.
  • Sauf qu'une lettre anonyme est vite arrivée au Courrier Yonnais et la manipulation éclate au grand jour. Portequoi et Basie L'Heureux sont là pour en témoigner. Je pense même que je vais les garder comme pièces à conviction.
  • Non ma Louisette, tu ne f'rais pas ça ?
  • Donnant donnant mon cher Pedro. Je lâche un peu de lest sur Philippe Roche et tu m'éclaires un peu sur tes intentions.
Louise rejoint la cuisine de la Pousselisière et Pedro reste seul avec ses fûts d'olives à transporter jusqu'à sa réserve qui, s'il n'y prend garde, ne tardera pas à se transformer en abri anti-atomique. Quoique, tenir un siège avec six mois d'olives et de pinard, ce serait un peu monotone.
******
Philippe Roche, Philippe Roche, Philippe Roche... Un coiffeur, un humoriste chanteur, un coach, un avocat. Et puis quoi encore ? D'autant plus que les âges ne concordent jamais et que tous ces homonymes sont dispersés un peu partout en France. Rien qu'à Limoges, il y en a déjà trois que Louise s'est empressée d'appeler.
  • Allo, je voudrais savoir si vos parents habitaient à l'Aigle d'Argent ?
A chaque fois, le même silence plein d'interrogations et de suspicions. Et toujours la même réponse négative plus ou moins aimable. « Ç'aurait été trop simple. Après tout, cette lettre a plus de cinquante ans et le Philippe Roche en question doit en avoir au moins 70 s'il est toujours en vie », constate Louise.
De son côté Pedro a obtenu un nouveau rendez-vous avec Marie Patch. Celle-ci lui a proposé de le rencontrer au Cristal, un petit bar à l'entrée de La Roche, prétextant un planning chargé pour ne pas avoir à se déplacer jusqu'à La Pousselisière. Pedro s'est senti un peu contrarié, mais il a toujours su manoeuvrer envers et contre les éléments pour atteindre ses objectifs. Le voilà donc embarqué sur un parcours qui ne lui est pas familier, à 60 km/h sur la Nationale, au grand dam des automobilistes qui s'agglutinent dans son dos. Il n'en a cure. Pour l'heure, la seule chose qui compte, ce sont les informations que va pouvoir lui fournir la correspondante du Courrier.
Elle est là. Attablée dans un renfoncement de la salle. Devant elle une tasse de café vide semble indiquer qu'elle attend depuis un certain temps. D'où peut-être son visage fermé et son air que Pedro juge contrarié. Il lui tend la main.
  • Bonjour Madame Patch. Pardon pour le retard. Mais vous savez, la circulation...
  • Je sais. Je ne vais pas avoir beaucoup de temps, dit-elle en agitant ses boucles blondes et en remontant ses lunettes d'un geste nerveux.
  • Qu'est-ce que je vous paie ?
  • Un autre café, je veux bien. Excusez-moi, mais le sevrage tabagique me rend un peu nerveuse.
  • Je comprends. Vous devriez essayer l'hypnose. Il paraît que ça marche...
  • Vous savez, j'ai tout essayé...
Pedro n'insiste pas. Il fait un signe au patron derrière le zinc pour commander le café et un ballon de Bordeaux pour lui.
  • Vous savez que votre article était bien tourné ?
  • Merci.
  • Non, c'est vrai, vous avez un joli brin de plume.
Le visage de Marie Patch devient plus serein. Pedro la sent ragaillardie. Il pousse son avantage.
  • Votre rencontre avec la police d'Aizenay semble avoir porté ses fruits.
  • Oui, ils m'ont parlé de leur combat quotidien contre les incivilités.
  • Ah ?
  • Oui, il paraît même que parfois ils font appel à des informateurs anonymes.
  • Pas toujours fiables !
  • Oui je sais. Paraît que vous en avez été victimes !
Pedro se tasse sur sa chaise de bistrot. Ainsi donc, elle est au courant. Il faut absolument qu'il garde la main.
  • Oui, je ne vous en avais pas parlé pour ne pas brouiller les pistes, mais comme je vois que rien ne se cache, je peux vous expliquer la méprise.
  • Pas la peine, ils ont découvert le vrai coupable.
  • C'est à dire ?
  • Ils ont trouvé qui avait déposé cette armoire dans le champ.
  • Ah !
Pedro attend la suite. Mais le visage de Marie s'est refermé. Elle regarde son interlocuteur et ose une question :
  • Monsieur Pedro, dites-moi, pour la photo ?
  • Oui !
  • J'avais l'impression de reconnaître un ou deux objets.
  • Comment ça ?
  • Oui, une impression de déjà vu !
  • Oh ! Vous savez, c'est une impression qu'on éprouve parfois. C'est une forme de paramnésie que certains considèrent comme la preuve de la métempsicose.
Marie ouvre de grands yeux et reste figée, la tasse de café aux lèvres. D'où Pedro sort-il ça ? Tout simplement de sa propension à noyer le poisson dans un bouillon de culture. Histoire de faire changer le cours de la conversation. Dans ces cas-là, ne pas remettre le poisson à l'eau !
  • Marie, vous disiez donc qu'ils avaient retrouvé le coupable ?
  • Oui, un dénommé Neyens ou quelque chose dans ce genre. Mais je ne vous l'ai pas dit.
Marie regarde sa montre et se lève précipitamment.
  • Veuillez m'excuser mais il faut que je me sauve. Je dois filer à L'Hermenault. Mon photographe MiK m'y attend pour un reportage sur l'Outil en Main.
Elle file sans demander son reste.
  • Doit y avoir anguille sous roche avec ce photographe, vu la façon dont ses yeux s'éclairent quand elle en parle, se dit Pedro en allant payer les consommations.

lundi 5 septembre 2016

L'appel et la Bête : contes défaits...

La chimère a des reflets changeants...

L'heure du Grimm ou l'heure de la Perrault ? Toujours est-il que l'heure des comptes est arrivée. Et tout conte fait, c'est pas joli joli ! Dans les jardins de la Pousselisière, la Bête rôde autour des Belles qui se pavanent...
Conciliabule pour échapper à l'appel de la Bête !
 ... et se poussent du col !
Et pendant ce temps, que fait le compteur ?
- Il tourne, il retourne et se creuse les méninges à coup de pelle.

- Que fîtes-vous au temps chaud ?
- Au temps chaud ? Pensa.
- Pensa mais rien ne vena !!!
- Eh bien, qu'adieu ne vaille, je souris à la vie.
- Pourquoi souris ?
- Parce qu'a le son chicotte !!!




And now, ladies and gentlemen, the Big Retour from the Pedro, el grando chiquito della débrouilla :

Pendant que Pedro sollicitait l'aide à son insu de Marie Patch, Louise n'était pas en reste dans ses investigations sur le web. Elle avait pris la résolution de ne plus questionner Pedro, sachant bien qu'il ne lui livrerait que des demi-vérités ou des vérités tronquées. A aucun moment, elle ne l'avait cru quand il lui avait dit qu'il laisserait tomber l'affaire. Mais elle savait aussi que ni l'un ni l'autre ne trouverait la solution tout seul. Elle était prête à lâcher un peu de lest et elle savait manier son Pedro avec délicatesse quand la situation l'exigeait. C'est cette idée qui la traversait au moment d'entrer dans la « taverne » de son bricoleur de génie.
A la vue des tentures cachant le fatras habituel, Louise ne put s'empêcher d'émettre un sifflement admiratif :
  • Tu as décidé de mettre de l'ordre chez toi ou c'est juste pour cacher la misère ?
  • Dis-donc Louise, chacun chez soi et les poules seront bien gardées...
  • Les vaches !
  • Hein ?
  • Oui, les vaches. On dit que les vaches seront bien gardées. Pas les poules !
  • Si tu veux ! Mais ici, c'est chez moi et si je veux que les poules soient bien gardées, c'est comme ça !
Louise n'insiste pas. Elle sait bien que ce décor inhabituel n'a rien d'innocent, mais elle préfère ne pas s'y attarder, histoire de ne pas compromettre ses chances de récolter un indice qui lui manque.
  • Dis-moi Pedro. Tu ne sais pas ce que j'ai découvert sur le Net ?
  • Non, mais je sens que tu vas me l'annoncer rapidement. Je vois ton regard qui jubile !
  • J'ai lu et relu le rapport de l'architecte divisionnaire Timbaud au sujet de l'immeuble de l'Aigle d'Argent. J'y ai déniché le nom d'une famille qui occupait un de ces appartements.
  • Et quel est ce nom ?
  • Roche...
  • Roche, c'est commun.
  • Oui, mais il me semble avoir entendu ce nom récemment. Pas toi ?
Pedro se gratte le front. Le nom ne lui évoque pas grand chose.
  • Tu veux bien que je relise la lettre que je t'avais lue l'autre jour ?
  • Oui, mais elle reste ici avec moi.
Du tiroir de son établi, Pedro extirpe le précieux document jauni qu'il déplie soigneusement. Le regard affûté de Louise se pose directement sur le post-scriptum. D'un pas décidé, elle se dirige vers la porte. Elle jette un regard facétieux en arrière :
  • Merci Pedro, tu es un ange. J'ai la réponse à ma question.
  • Un ange, un ange, mais tu n'auras pas mes ailes, marmonne Pedro resté seul avec la lettre dépliée devant lui.
Il ne met pas longtemps à comprendre qu'il vient de lui fournir un précieux indice pour son enquête. A charge de revanche !
En lançant sa recherche, Louise ne peut s'empêcher de penser qu'il y a plus de Roche en France que de neurones chez les starlettes des télé-réalités. Elle sait qu'elle va devoir s'armer de patience, user de recoupements et provoquer le destin. Ce n'est pas que cela lui fasse peur, c'est surtout qu'elle craint les entourloupes du Pedro. Elle ne va pas tarder à s'en rendre compte.

Cinq jours exactement. Et pas un de plus ! Il aura fallu cinq jours à Loulou pour comprendre ce que cachait le décor dépouillé de la caverne de Pedro. L'article s'étale sur quatre colonnes du Courrier Yonnais. La photo est signée MiK. Pedro y apparaît de dos, savamment mis en scène en train de pointer du doigt un monticule de détritus abandonnés dans la nature. Parmi les déchets censés heurter la conscience du lecteur, Loulou reconnaît les deux hideux nains de jardin et la poupée en celluloïd que Pedro avaient ramenés d'une de ses expéditions et qu'il avait cru de bon ton de placer au fond du jardin de la Pousselisière. L'article signé des initiales MP dénonce le coût faramineux du traitement des dépôts sauvages et l'incivilité croissante des contrevenants. Pour rappel, le journaliste ayant mené l'enquête évoque l'article R632-1 du code pénal et le policier municipal interrogé ne se prive pas d'insister sur les peines encourues.
« Le faux-cul ! Il est allé jusque-là pour soutirer des informations. Pedro, tu ne me feras pas le coup du sombrero ! » se dit Louise en refermant son quotidien. Il faut qu'elle en ait le cœur net. Un tour au fond du jardin s'impose. Portequoi et Basie L'Heureux, les deux nains ainsi nommés sont bien là, mais leurs places ont été inversées, et la poupée grimée en gardeuse d'oies est aussi impassible que d'habitude. Plus de doute pour Louise. Pedro est allé jusqu'à recréer une « scène de crime » pour illustrer un article somme toute sérieux. Un semi-bidonnage en terme journalistique, dont elle compte bien se faire un argument. Et pas plus tard que tout de suite puisque la Mazda brinquebalante de Pedro fait une entrée fracassante sur l'allée empierrée de la Pousselisière. « Il va encore me faire croire qu'il a fait l'affaire du siècle chez Mimile », imagine Louise.

lundi 23 mai 2016

Quid de l'oeuf ? Escale en bestiaire inconnu...

Gènes et tiques !!!

De la poule et de l'oeuf. La question reste récurrente comme une poudre à laver !

Délicatement déposé sur la paille, l'oeuf tout neuf ne peut que s'interroger sur sa condition d'oeuf. D'où viens-je ? Qui cuis-je ? Etre ou ne pas être ! C'est le paradoxe de l'Homlet. 
- Non ce n'est pas la cane de Jeanne qui m'a déposé là ! Ni même la poulette de Louisette ! Tu veux connaître ma genèse ? Genèse pleine de promesses quand l'oeuf d'or et que la mère veille. C'est l'histoire d'un croisement. Lignes croisées et destins mélangés entre la rousse illustrée et la noire, elle ça date ! 
              A la Pousselisière, les manipulations génétiques ont enfin fourni la réponse à l'antique équation équivoque et problématique : qui de l'oeuf ou de la poule ? Au départ, chez Pedro, la poule y dort. Et, il est bien connu que quand la poule y dort, c'est qu'elle arrive en second. Donc l'oeuf gagne la course, coquille de sort ! A moins que ce ne soit cet exemplaire préhistorique dont la découverte devrait révolutionner le monde des sciences. Un seul spécimen de ce Gallimatius pedrosus a pu être photographié à ce jour. Cher lecteur, savoure bien ce privilège et fais suivre l'info :
Le Gallimatius pedrosus n'apprécie guère la proximité de l'homme. Pour l'observer, il convient de se lever aux aurores !

And now, ladies and gentlemen, la suite des aventures de Pedro à Limoges (épisode 4)

 « Va falloir jouer serré. Je suis sûre qu'il ne me dit pas tout », pense Louise en mettant son écran en veille. C'est qu'elle le connaît son « bonhomme » ! Et plus que de raison ! Des décennies de vie commune, à partager les coups de becs et les coups de griffe, sans que cela n'altère l'admiration réciproque que ces deux-là éprouvent l'un pour l'autre. Déjà un exploit en soi ! De là à se laisser berner, c'est une étape qu'aucun des deux ne saurait tolérer. Dominera bien qui dominera le dernier ! Sans doute une façon de rester debout plus longtemps. Même si Pedro a déjà ciselé sa propre épitaphe, il balaye d'un revers de main cette idée de vieillesse à laquelle Loulou voudrait le condamner un peu trop rapidement. Alors, va comme j'te pousse, elle repart de plus belle sur ses chemins de liberté à elle, menant sa barque sur des eaux pas toujours tranquilles.
D'un côté Louise connaît les points forts de Pedro : son obstination, son sens logique et sa capacité de mémoire qu'il entretient comme le ferait un jardinier de ses légumes de concours. De l'autre, il y a ses failles : sa constitution frêle et vacillante qui ne l'autorise plus guère à s'éloigner de la Pousselisière. Mais aussi, et c'est paradoxal, son obstination qui peut lui jouer des tours pendables quand il choisit la mauvaise bifurcation et s'entête à poursuivre un chemin qui va le mener dans le mur. N'a-t-il pas un jour failli se perdre dans la forêt du Gâvre pour avoir suivi une étoile qui n'était pas la sienne ? Mais c'est comme ça qu'elle l'aime : imprévisible et tête dure !
Quant à Pedro, il a beau râler après sa « Comtesse de la Pousselisière », il ne lui reconnaît pas moins ses qualités pratiques d'organisation, ses penchants artistiques indéniables et sa farouche volonté d'indépendance qu'il n'a jamais essayé de contre-carrer. Le mariage de la carpe et du lapin, comme diraient certains. Avec la parole en plus et la souplesse en moins ! Ou peut-être plus simplement le mariage de la mer et du vent. L'un n'allant pas sans l'autre pour faire des vagues, mais également pour ramener la pêche miraculeuse à bon port.

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Question pêche, tous les deux avaient lancé leur hameçon et même sorti leurs premières prises de l'eau. Mais, à force de se tourner autour, leurs lignes s'étaient emmêlées et ils en étaient restés là. La seule certitude dans l'énigme qui les préoccupait était la ville de Limoges. A part cela, ils avaient quelques prénoms, des visages, des photos et les cafés NITAHI. Bien peu en réalité pour espérer en tirer quoi que ce soit.
  • Le mieux serait qu'on cherche chacun de notre côté et qu'on fasse le point un peu plus tard, osa Louise.
  • Fais ce que tu veux. Moi, je crois que je vais laisser tomber. On n'a pas assez d'éléments pour aller plus loin, répliqua Pedro.
  • Si je peux me permettre un avis, je pense surtout que tu n'as pas envie que je découvre quelque chose avant toi. Ça risquerait de réveiller de mauvais souvenirs en toi...
  • Top ! On n'en parle plus. D'ailleurs, ce ne sont pas de mauvais souvenirs. Tiens, tu peux relire ce que Le Courrier Yonnais avait écrit à l'époque...
Louise connaît par cœur cet article où le « scribouillard » local avait élevé Pedro en faiseur de stars. Et tout cela parce qu'elle, Louise, l'avait mis sur la piste d'une jeune artiste capverdienne à la suite d'une longue enquête partie d'une simple chanson enregistrée sur bande magnétique. L'idée des Terres Rondes de Rondelande, festival de musiques du monde, c'était elle. La clé de l'énigme, c'était elle qui l'avait actionnée. Et celui qui avait tout récupéré en gloire et en notoriété, c'était lui, le King Pop de la Pousselisière comme ils avaient eu le culot de le présenter. Une autre histoire, un autre temps, et pas question de revivre ça ! Louise ne croit pas une seconde que Pedro lâchera l'affaire comme ça ! Elle le connaît trop bien. Il doit déjà être en train de peaufiner ses armes. Plus question de perdre du temps si elle veut rester dans la course.


Louise est retournée s'enfermer à double-tour dans son bureau, devant son outil de recherche favori, naviguant sur la Toile telle une araignée guettant sa proie. Resté seul dans son atelier, Pedro a soigneusement replié l'article élogieux du Courrier Yonnais. Il a ensuite composé sur son cellulaire à clapet le numéro du quotidien local.
  • Bonjour, je souhaiterais joindre Phil Bargand...
  • Pardon ?
  • Oui, Phil Bargand. Il s'occupait des événements culturels dans le secteur de Rondelande.
  • Je ne connais pas, Monsieur.
  • Et moi, vous me connaissez ? Pedro, Pedro de la Pousselisière. Le King Pop, ça ne vous dit rien.
  • Désolé monsieur, rien du tout. Faut dire que cela ne fait pas longtemps que je suis là. Patientez, je vais poser la question à une collègue.
Pedro écarte le combiné de son oreille. « La gloire est éphémère et le monde bien injuste », pense-t-il. Dans l'appareil qu'il tient à bout de bras, il entend des chuchotements, puis une sorte de gloussement et un éclat de rire sonore. La voix de son interlocutrice redevient plus nette :
  • Excusez-moi de vous avoir fait attendre Monsieur Pedro. Ma collègue m'a tout expliqué...
  • Et ça vous a fait rire ?
Pedro sent un silence gêné au bout du fil. La fille est pressée d'abréger la conversation.
  • Je peux juste vous informer que Phil Bargand a quitté notre journal. Il s'est reconverti dans une formation de détective privé. Mais je vais vous laisser les coordonnées de celle qui le remplace.

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La nouvelle journaliste du Courrier Yonnais est tout à l'opposé de son prédécesseur que Pedro avait osé comparer à un glaïeul fané. Pour rester dans la métaphore florale, elle serait plutôt dans le genre rose anglaise épanouie. Pedro n'a pas bien compris son nom au téléphone, mais son prénom est Marie. Il en est sûr. Quand il l'a eue au téléphone, il lui a présenté son histoire comme une question de devoir citoyen. Il souhaitait lui suggérer une idée de papier autour du scandale du dépôt d'ordures sauvages qui « malmènent l'environnement et vont jusqu'à créer des risques sanitaires ». Il savait bien qu'il fallait appâter le poisson avec un sujet bien dans le vent, pour ensuite faire tourner la brise dans la direction qu'il en attendait. Pour pouvoir discuter plus librement avec la correspondante du Courrier, il a préféré attendre que Loulou soit partie pour son escapade hebdomadaire avec les « mamies tricoteuses » qu'elle accompagne.
C'est quand elle est descendue de sa voiture que Pedro a pensé à une rose anglaise.
  • Bonjour Madame Marie...
  • Kadli.
  • Pardon ?
  • Marie Kadli, mais appelez-moi Marie Patch comme tout le monde. Ça ne me vexera pas vous savez ?
  • Et pourquoi Marie Patch ?
  • Si vous pensez que c'est à cause du choc des mots, vous avez tout faux ! C'est simplement parce que j'essaie régulièrement d'arrêter de fumer. Faut croire que le patch n'a pas d'emprise sur moi. Mais bon, on n'est pas là pour ça. Dites-moi plutôt ce qui vous a amené à vous intéresser au sujet qui nous préoccupe.
Pedro entraîne Marie Patch dans son atelier où il a pris soin de cacher sous des tentures tout son bric-à-brac entassé ces derniers mois. Il n'a laissé en évidence que la porte d'armoire à glace ramenée de sa dernière péripétie champêtre, les quelques photos récupérées dans la boîte en fer blanc, auxquelles il a joint un bidon d'huile Motul éventré.
  • Voilà ce que l'on trouve parfois dans les fossés bordant nos belles routes de campagne. Et je pourrais vous en montrer bien davantage.
  • C'est dégueulasse !!
  • Répugnant, je ne vous le fais pas dire !
  • Et vous en voyez souvent de tels dépôts ?
  • Plus qu'il n'en faut ! Là aussi, je pourrais vous en montrer. Mais je pense qu'il serait plus intéressant pour vous de commencer votre enquête dans les services municipaux qui ont à gérer ces désagréments.
  • Je pense effectivement qu'il faudrait sensibiliser nos lecteurs à ce problème.
  • Vous pourriez peut-être commencer par la mairie d'Aizenay. Ne leur dites pas que vous venez de ma part. Je préfère rester dans l'ombre.
  • Comme vous voudrez. Je vous recontacterai ensuite pour que vous m'emmeniez sur le terrain. Je serai peut-être accompagné de mon photographe personnel pour illustrer l'article.
En regardant la C3 rouge de Marie quitter le chemin de la Pousselisière, Pedro ne peut s'empêcher de se frotter les mains. « Opération amorçage réussie. Un petit mensonge vaut parfois tous les Bill Gates du monde », siffle-t-il entre ses dents.

lundi 25 avril 2016

Nain de jardin mais géant de coeur !!!

Reflets d'une tempête sous un crâne, version Pousselisière

Où est-y le printemps ?

Comment ça, kitch ? Kitch oui, mais kitch lorraine, et kitch-net !!!

La création, c'est comme le temps. Ciel bleu mais idées courtes. Je n'ai plus qu'à m'en remettre à mon nain Spector made by Pedro pour trouver l'inspiration. Ma pensée du jour serait plutôt :

Rien ne sert de fou-rire, il faut partir au coin (version besoin urgent)

ou plus prosaïquement :

Rien ne sert de soupir, il faut partir chafouin (version ronchon)

             J'ai beau frotter mes neurones dans tous les sens, l'étincelle ne vient pas. Alors, plutôt que de me regarder de haut, et c'est un euphémisme, toi le petit bonhomme joufflu, tu ferais bien de me souffler dans les branches. Faut croire que le printemps se fait attendre partout. Sauf pour Pedro qui s'est découvert son oncle d'Amérique et qui se voyait déjà le cul cousu d'or, comprenne qui pourra ! Mais adieu veau, vache, cochon et toute la basse-cour, point de Pedro-dollars en vue, juste quelques pécadilles et trois francs six sous, si saouls qu'à la fin on s'y perd. Foin de tout ça, je préfère te délivrer la suite des aventures de mon Pedro à moi et de ses enquêtes alambiquées...



3e épisode des aventures de Pedro et Loulou :

 Rien de tel pour lui faire oublier sa mésaventure que de se plonger dans l'étude plus approfondie de sa trouvaille. Premier objectif : arriver à dater plus précisément ces photos et, si possible, comprendre pourquoi elles présentaient toutes le même défaut. Un défaut peut-être voulu par le photographe. Mais dans quel but ? Le côté artistique n'avait rien d'évident mais chaque photo exerçait une fascination inexplicable sur Pedro. C'était comme si ces regards, ces visages n'étaient que le reflet des âmes qu'ils recelaient. Qui étaient-ils ? Pedro en était là dans ses supputations quand Louise osa s'aventurer dans son atelier. Le ton acerbe de la matinée avait laissé place à un mélange de curiosité et d'admiration pour son « aventurier » préféré.
C'est que ces deux-là avaient su bâtir leur destinée commune sur le balancier des sentiments en oscillation permanente entre provocations et élans d'affection. Loulou se pencha par-dessus l'épaule de Pedro :
  • Sont belles ces photos !!!
  • Mmmouais...
  • C'est qui ?
  • Les mystères de l'armoire, répondit machinalement Pedro.
  • C'est bizarre ces regards introspectifs et les coins floutés...
  • Comme tes intentions !
  • Oui, floutées comme tes intentions. J'te connais. Tu fais des chichis quand je t'encombre avec mes vieilleries. Mais dès qu'il y a une énigme à résoudre, alors là Madame s'intéresse.
  • C'est pour t'aider Pedro. Je vois bien que tu cogites et que ces photos t'intriguent.
  • Bon, alea jacta est. Puisque tu veux me donner un coup de main, essaie de me déchiffrer cette lettre qui a du rester coincée au fond de la boite.
Pedro tendit à Louise une feuille de papier jaunie pliée en quatre. L'encre était à moitié effacée par le temps et l'écriture était fine et régulière. Une lettre adressée à un certain Robert.
  • Années 1930, 1940..., commente instantanément Pedro.
Elle est datée du 30 janvier 1958.
Louise entama la lecture :
Cher Robert
Je me suis enfin décidée...
  • C'est une femme qui écrit...
  • Comment le sais-tu ?
  • Elle a mis un -e à la fin de décidée...
  • Donc elle a de l'instruction et connaît ses règles de grammaire.
Louise reprit :
Je me suis enfin décidée à t'écrire. Jean nous raconte dans sa dernière lettre ce qui est arrivé à une de ses camarades à Alger. Cette fille était descendue au WC d'un café lorsqu'une bombe explosa. Elle fut grièvement atteinte à l'estomac et elle a la figure et les mains terriblement touchées. Il paraît que, lorsqu'on l'a ramassée elle était méconnaissable. Ça devient inquiétant ces événements à Alger.
  • Elle ne sait pas encore tout ce qui va suivre.
  • Tais-toi Pedro, tu parles pour rien. Bien sûr qu'elle ne le sait pas, puiqu'on est en 58...
  • Et que ce n'est pas Madame Soleil, je sais ! Je me tais. Poursuivez votre lecture Madame Louisette !
  • Donc, où en étions-nous ? Ah oui,
… à Alger.
Maman continue à avoir mal aux dents. Lysiane va lui faire des piqûres pour que la gencive repousse (sans doute une nouvelle découverte!)
Nous allons danser au théâtre en avril. Nous serons 7 dans ce ballet. J'espère que cela sera une réussite. On t'enverra des photos. Maman va sûrement en prendre car elle va bientôt avoir un Leica. Tu penses si elle est contente. Elle me donnera peut-être son vieil appareil. Ce serait sensas...
  • Des gens d'un certain standinge, soliloque Pedro.
  • Qu'est ce qui te permet de dire ça ? l'interroge Loulou à qui rien n'échappe.
  • Le Leica. C'était pas donné dans les années 50.
  • On en reparlera. Je finis ma lecture, tu veux bien ?
Ici, il a fait mauvais pendant une semaine à peu près mais cela a passé. L'autre jour, Henri, mon oncle, a été chez le toubib pour ses mains. Il avait des boutons sur les doigts. Le docteur lui demande : combien buvez-vous par jour ? Henri répond : 3 litres environ...
  • Alors là, je m'incline.
Louise haussa les épaules et reprit sa lecture :
Le toubib lui a donné des remèdes homéopathiques et lui a dit de ne boire plus qu'un demi-litre par repas. Cela fait 15 jours et Henri a maigri de 9 kg. Hier, assis sur son lit, en slip, il regardait ses jambes et il dit : « On dirait des allumettes » (et cela sur un ton très sérieux). Thérèse a bien ri, car il pèse encore 90 kg.
Je t'embrasse. Et toi, Coma quo vai ?
  • Et c'est signé Ratoune.
  • Eh ben, ça ne va pas nous apporter grand chose tout ça, conclut Pedro.
  • Attends, il y a un post-scriptum.
Il paraît qu'on va démolir l'Aigle d'Argent. Ton copain Philippe Roche est inquiet pour ses parents qui ne savent pas où ils vont être relogés. Ça le tracasse beaucoup !
  • C'est vrai que ça ne nous apprends rien de plus, constata Louise en repliant la lettre. Si tu permets, je vais aller regarder ces photos à la lumière plutôt que dans ton repaire.


4


Pedro n'avait opposé aucune résistance quand Louise avait emporté la pile de photos. Il était resté pensif dans son atelier. Une expression avait retenu son attention dans la lettre. Il relut à plusieurs reprises le post-scriptum. Une impression de déjà vu, une réminiscence, un relent d'un passé très lointain mais qui lui évoquait des souvenirs troubles. L'Aigle d'Argent. Avait-t-il lu ce nom quelque part ? Etait-ce le nom d'un héros d'une ancienne BD dont il aimait lire les aventures ? Comme pour mieux descendre dans les strates de sa mémoire, il entama un retour aux sources. Ses années d'enfance à Limoges. La ville où il était né. Où il avait grandi. Limoges d'après-guerre. Le trolleybus entre la place Carnot et l'avenue Baudin, la façade imposante des établissements Legrand sur l'avenue De Lattre-de-Tassigny, symbole d'une époque annonçant les Trente Glorieuses. Et puis, le revers de la médaille, les quartiers en quasi décrépitude. Des immeubles délabrés, au bord de l'insalubrité. Mais bien sûr ! Le regard de Pedro s'éclaira. L'Aigle d'Argent. C'est le nom que portait un de ces bâtiments vétustes, près de la mairie.
Pedro essaya de se raisonner et de tempérer le galop de ses souvenirs. « N'allons pas trop vite en besogne. L'Aigle d'Argent devait être un nom assez commun. Mais tout de même, l'époque correspondrait bien. Comment en être sûr ? Les photos ne donnent que peu d'indices. Surtout que Loulou a mis le grappin dessus et qu'elle n'est pas prête à les lâcher. Seule solution : lui faire entamer une recherche sur le Net, cette hydre diabolique que décidément Pedro a beaucoup de mal à affronter. Ce n'est pas tant la technique qui le rebute que l'idée d'intégrer le troupeau des moutons de Panurge suivant le grand berger de la Toile. Il préférait laisser ce soin à d'autres et tirer les marrons du feu sans se brûler les doigts. Une tactique qui lui avait plutôt réussi jusque-là.
Sur son bureau, Louise avait étalé une bonne vingtaine de photos. Vingt visages aux expressions figées. Avec toujours le même cadre cerclant le portrait et un arrière-plan flou où l'on distinguait parfois des éléments plus reconnaissables. Pedro poussa la porte :
  • Tu tombes bien, annonça Loulou.
  • Pourquoi ?
  • Pour jouer au jeu des sept erreurs...
  • Arrête tes conneries. Je n'suis pas venu pour ça !
  • Tu m'étonnes ? J'te connais. Ne tourne pas autour du pot. Tu as un service à me demander.
Pedro s'était toujours demandé comment elle faisait pour deviner ses intentions. L'intuition féminine ? Il avait beaucoup de mal à l'admettre. Mais il devait bien se faire une raison. Et puis, l'essentiel était qu'il parvienne à ses fins. Alors autant rentrer dans son jeu.
  • Oui, c'est vrai. Je vais encore te demander de faire une recherche pour moi...
  • Après le jeu des sept erreurs, insista Louise.
Ce n'est pas que ça l'amusait. Mais il faut parfois lâcher du lest pour prendre de la hauteur, se dit Pedro. Va donc pour le jeu des sept erreurs. Il se pencha sur les photos alignées.
  • J'ai trouvé. Ce n'est jamais la même personne.
  • Première erreur Pedro. Il y en a une qui est photographiée trois fois. Même si la coiffure change un peu. Mais c'est vrai que tu as l'habitude de ne pas remarquer ce genre de détail. Même chez moi...
  • Arrête-toi là Louisette ! On joue ou on n'joue pas ?
  • C'est bon j'arrête ! On joue...
Pedro osa une nouvelle remarque :
  • Les photos ont été prises vers la rue. On voit presque toujours la même voiture garée à l'arrière-plan.
  • Sauf une fois !
En effet, sur l'un des portraits, on apercevait au fond, derrière le regard figé d'une jeune fille aux cheveux noirs, un étrange véhicule surmonté d'une banderole publicitaire. Pedro alla chercher sa grosse loupe pour tenter d'en déchiffrer l'inscription partiellement cachée par le portrait.
  • NITAHI, ça te dit quelque chose ?
  • Pas vraiment, rétorqua Louise. Je ne lis pas encore dans le marc de café.
Pedro resta interloqué. Le mot café associé à NITAHI agitait ses neurones. Mieux valait ne rien laisser paraître plutôt que de s'engager dans une explication encore un peu vaseuse. Il préféra en revenir à la vraie raison qui l'avait amené à retrouver Loulou. Il prit un air dégagé pour exposer sa demande :
  • Tiens, quand tu auras un peu de temps, tu essaieras de voir ce qu'on peut trouver sur Aigle d'Argent.
  • Quand j'aurai un peu de temps. Pour l'heure, je préfère m'intéresser à mes photos.
  • Tes photos ?
  • Oui, j'ai cru comprendre qu'elles n'avaient pas d'intérêt pour toi...
  • C'est juste pour mes statistiques personnelles...
Il est vrai que le Pedro, il est le roi de la statistique. Déformation professionnelle ou obsession des chiffres. Tout chez lui passe en statistiques. Du nombre d'assiettes ramassées en une année à la durée de vie d'une bombe de mousse à raser, en passant par le poids des années accumulées et la taille des illusions.


5

Après d'âpres palabres, Pedro a réussi a négocier les trois photos représentant le même visage et la photo sur laquelle il a cru pouvoir reconnaître le mot NITAHI. A peine avait-il quitté le bureau de Louise que celle-ci s'installait devant son ordinateur. En guise d'Aigle d'Argent, le moteur de recherche lui sert un dessin animé version manga qui ne cadre pas vraiment avec les récentes trouvailles de Pedro. Elle tente une autre entrée. On la renvoie sur des notions d'héraldique et de blasons. Plus plausible déjà. La lettre qu'elle a lue à Pedro émanait bien d'une fille d'un milieu plutôt aisé de prime abord. Pourquoi pas une famille noble dont le blason comporterait un aigle. Sauf que, si elle se souvient bien, l'auteur de la lettre parlait de démolir l'Aigle d'Argent et on ne démolit pas un blason comme on démolirait un immeuble. Il faut qu'elle en réfère à Pedro.
Celui-ci s'est installé derrière son piano. A la place des partitions, il a aligné les quatre photos que Loulou a bien voulu lui rétrocéder. Il a l'oeil qui pétille et le regard que devait avoir Champollion quand il a réussi à déchiffrer les hiéroglyphes.
  • J'ai trouvé, annonce-t-il sans modestie à Louise.
  • Moi aussi, mais je ne sais pas si cela apporte quelque chose de plus !
  • Alors vas-y annonce !
  • Toi d'abord...
  • C'est même toi qui m'a mis sur la voie ma Louisette.
  • J'ai pas fait exprès !
  • Ça je m'en doute. En général, tu préfères garder les bons filons pour toi. Mais t'es trop bavarde. C'est toi qui m'a mis sur la piste des cafés NITAHI.
  • Jamais entendu parler.
Les doigts de Pedro se mettent à courir sur le piano. Il joint la chanson à la mélodie :
  • De tous les cafés le plus apprécié, Mais oui c'est le fameux café Nitahi....
Le café oh oh
Le café ah ah
Café Nitahi, café Nitahi dont l'arôme est exquis...
  • Qu'est-ce que tu me chantes là ?
  • Tu connais pas ?
  • Je n'ai pas ta culture mon cher Pedro.
  • Radio Luxembourg. Les années 50.
  • Pas de mon âge...
  • Pas de mon âge, pas de mon âge. Et alors ? Je n'ai pas personnellement connu Molière et pourtant je connais Le Misanthrope.
  • J'en connais un aussi, mais peut-être pas le même...
  • Bon ça va comme ça. Dis-moi plutôt ce que tu as trouvé de ton côté...
  • Je me suis plongée dans l'héraldique, dans des histoires de gueule à une aigle d'argent, etc.
  • Et ça ne t'a pas blasé, ces histoires de blasons ?
Un tantinet vexée, Louise réplique vivement.
  • La prochaine fois, tu feras tes recherches tout seul...
  • Te fâche pas. Tu devrais essayer d'associer Limoges à la recherche.
  • Et d'où tu tiens ça ?
  • Intuition masculine, pérore Pedro, tête haute et regard fier.
Il ne veut pas en dire davantage à Louise. Il a juste besoin qu'on lui confirme ses premières impressions. Il sait bien que le café NITAHI, il le voyait à l'épicerie de Limoges devant laquelle il passait pour aller à l'école. Il a aussi reconnu le modèle de la voiture aperçu sur les autres photos. Simca « Marly » à plus d'un million de francs à l'époque. Ils n'étaient pas nombreux à pouvoir se payer cette break qui pompait plus de 13 litres aux cents. Quant à l'Aigle d'Argent, il est presque sûr maintenant qu'il s'agissait d'un de ces immeubles en décrépitude démolis quand il avait une vingtaine d'années dans le bas de la rue Vieille des Carmélites. Au moins, Louise aura-t-elle du grain à moudre avec cette nouvelle recherche et lui permettra-t-elle d'avancer à son propre rythme pour comprendre ce qui peut bien se cacher derrière ces photos volées à la barbe du temps.
Bien vu, car Louise est déjà à pianoter sur son clavier.
  • Il avait raison le chameau ! Il doit bien s'agir de Limoges, commente-t-elle à voix haute.
En ouvrant quelques archives, elle découvre l'histoire de l'hôtel de l'Aigle d'Argent, « repaire de républicains » au XIXe siècle, ayant hébergé un « banquet socialiste de femmes en 1849 », puis devenu insalubre un siècle plus tard selon le rapport de l'architecte divisionnaire de la ville. Celui-ci n'hésite pas à qualifier l'ensemble d'immeubles dangereux pour la sécurité publique et pour celle des habitants, avec des installations sanitaires indignes de l'époque.
Une situation qui n'avait pas empêché certains locataires de prendre leur plume pour s'élever contre la démolition de l'Aigle d'Argent. C'est bien la même crainte qui était exprimée dans le post-scriptum de la lettre qui accompagnait les photos. Conclusion : cette lettre était très probablement partie de Limoges, destinée à quelqu'un qui connaissait bien Limoges et il est fort probable que les photos aient elles-aussi été prises à Limoges.