vendredi 26 septembre 2014

L'affable de la fontaine a parlé...

L'heureux art et l'air est sain...

Qu'on ne me fasse pas immédiatement le procès de l'approximation. Il y a des matins où l'eau tonne et le cerveau lent reste à quai. Il me faut néanmoins revenir sur cette énigmatique disparition qui avait émaillé l'été à la Pousselisière. Les enquêteurs mis sur l'affaire ont réussi à mettre la main sur un témoin clé qui, de son perchoir, avait suivi toute la scène. L'Inspecteur en chef nain Basie L'Heureux n'a pas mis longtemps à faire parler l'affable de la fontaine. Témoignage :
- Je croaaa me souvenir avoir vu Miss Louise s'éloigner de la Mapmonde avec Blanche-Neige et ses deux comparses. Je croaaa même que Pedro avait préféré se réfugier dans sa grange. Je croaaa l'avoir entendu taper du marteau. Quand j'ai vu Loulou revenir toute seule, elle a eu l'air de comploter avec celui qu'entre nous, ici à la Pousselisière, on appelle Maître Inpeto, eh oui, Geppeto était déjà pris. Je croaaa avoir compris que pour retrouver du calme, ils avaient décidé de disperser façon puzzle les trois disparus. J'en tremble du bec pour eux. Je croaaa avoir saisi quelques bribes de conversation où il était question de d'Ragon, de trou des brigands et de Gargan ou de carcan. Devriez vous intéresser à la gardeuse d'oies qui nous snobe avec ses pieds palmés...


- Eh alors, j'ai les palmes ! Eh même si elles ne sont pas académiques, elles me permettent d'aller sur tous les terrains pour suivre mes oies et mes ouailles. Je ne suis pas du genre corps vidé de toute substance et qui croaaasse plus haut que son derrière. Je ne me suis pas fait entourlouper par le premier goupil de passage. D'ailleurs, je me demande si Pedro n'était pas un peu derrière ce Goupil. Il n'est peut-être pas un féru de la souris, mais question ruse il n'est pas le dernier. Pour ce qui est de Max, d'Artur et d'Ana, je ne dirai rien. Allez plutôt voir Marie Patch et son Marathon Man de la photo... Ils vous raconteront une drôle d'histoire de canapé sur l'Oise...
 
 
 
 
 
 

Lignes brouillées sur Sofa R-Way

 

Il y avait le Négus, le champion et lui ! On l'avait prénommé Haïlé, lui accolant comme second prénom, Abebe, censé lui insuffler une âme de coureur de grand fond. Kivala Abebe Haïlé. Tel était donc son patronyme officiel inscrit au registre des naissances à Laon, Aisne, l'ordre initial des prénoms ayant été inversé par la préposée à l'état civil. Sa famille maternelle était aussi Picarde que celle de son père était Ethiopienne des hauts plateaux. Rien ne prédisposait ces deux mondes à échanger leurs chromosomes. Sa mère, Ella, benjamine d'une famille de producteurs de betteraves sucrières implantée depuis des générations à Fontaine Notre-Dame était d'un roux flamboyant à faire pâlir le soleil. Quant à son père, Tesfa Kivala, il était né dans le berceau de l'humanité, là-bas, à 2 400 mètres d'altitude, dans la province d'Arsi, dans une famille modeste de neuf enfants.
Le grand-père d'Abebe Haïlé avait transmis à ses fils son admiration pour le héros national Abebe Bikila qui, à 28 ans, pieds nus sur l'asphalte, avait médusé le monde en remportant le marathon des jeux olympiques de Rome. Le 21 octobre 1964, Tesfa Kivala voyait le jour et Bikila s'adjugeait son second titre olympique. Hasard de la vie ou signe du destin ? La famille voulut se raccrocher à cette seconde hypothèse et, avant même ses dix ans, Tesfa s'entraînait dur sur ses plateaux d'altitude pour porter les rêves de gloire de son père. L'émergence d'un futur grand de la course de fond allait vite le faire déchanter. La supériorité insolente de ce petit Haïlé Gebrsellasié, fils d'une famille voisine, n'allait pas tarder à pousser Tesfa vers l'exil, loin de la terre de ses ancêtres. Entre-temps, la révolution fomentée par les militaires avait eu raison du Roi des rois, dirigeant légitime de la Terre pour les rastas. Exit Haïlé, Sélassié 1er, descendant de la reine de Saba.
La grande famine avait encore accéléré le départ de Tesfa, direction l'Europe et ses promesses. Passage clandestin, remontée de l'Italie sous une cargaison de tomates jusqu'en France. Quelques petits boulots à l'arrache. La saison des pêches, les vendanges, des piges sur les chantiers. Toujours sans papiers. Et la Terre promise qui devient un enfer. Jusqu'à cette arrivée, au gré d'une rencontre d'infortune, à la communauté Emmaüs de Fontaine Notre-Dame où Ella Bocquillon se rendait une fois par mois. Cupidon avait fait le reste, au grand dam de la famille d'Ella qui eût préféré comme gendre un garçon à l'avenir moins incertain. Ella qui avait toujours rêvé d'un mariage en blanc, se résigna à une union semi-clandestine avec un champion de seconde zone mais au grand cœur. Ella Kivala, ce n'était pas pire qu'Ella Despoux comme elle aurait pu s'appeler si elle avait épousé le fils des voisins.
C'est ainsi que naquit le petit Abebe Haïlé, le 29 juillet 1996, à la maternité du centre hospitalier de Laon dans l'Aisne. « Lent dans l'aine, ce n'est pas ça qui va faire de ton fils un champion du demi-fond », avait ricané le beau-frère picard de Tesfa. Le lendemain, à Atlanta, Haïlé Gebrsellasié accrochait sa première breloque dorée olympique autour du cou. L'annonce de la naissance d'un nouveau venu dans la lignée des Kivala était parvenue à Asri au même moment où l'icône nationale devenait le roi incontesté des 25 tours de stade. On avait fêté, et même un peu mélangé les deux éléments, le patriarche de la famille recommençant à tirer des plans sur la comète... athlétique.
L'arrivée du petit Abebe Haïlé avait eu pour effet d'accélérer la régularisation de son père qui partit s'installer avec sa petite famille à La Fère où, grâce au soutien de la communauté Emmaüs de Fontaine Notre-Dame, Tesfa avait obtenu un poste de technicien municipal. La Fère, la belle affaire ! Moins de 3 000 habitants, pas de hauts plateaux. Tout juste un stade sans tribune, un étang à proximité et les plats chemins de halage le long du canal de la Sambre à l'Oise. Pas folichon pour le petit Abebe Haïlé très peu motivé pour l'école où seules les leçons d'histoire de Madame Blangy
trouvaient grâce à ses yeux. Pendant que son père s'extasiait devant les performances de Gebrsellasié et de ses successeurs, Abebe Haïlé se passionnait pour l'Histoire. On l'avait inscrit malgré lui au La Fère Athlétic club.
« Transpirer au FAC, c'est mieux que de cirer les bancs à la Fac », s'était fendu l'oncle Dédé Bocquillon. Haïlé avait la course dans les gênes sans le savoir et, lors des premières sorties sur route, il n'eut aucun mal à distancer ses aînés d'entraînement. On le surnomma rapidement King Haïlé Abebe. Puis, plus commodément Kha. Kha était devenu, avant même ses 12 ans, le grand espoir sportif de La Fère, mais il n'en avait que faire. On était alors en 2008. A Pékin, c'est encore l'Ethiopie qui triomphait dans les courses de fond. Et déjà, Tesfa se mettait à rêver pour son fils d'une gloire olympique. « Pourquoi pas Paris 2024 ? Ça te ferait 28 ans. Le même âge que Bikila à Rome », lui asséna-t-il. Kha ne broncha pas.
Ce n'était pas les capacités qui lui manquaient. C'est la volonté. Aux interminables séances d'entraînement, il préfèrait l'évasion par les livres. L'Histoire, les histoires... Surtout celles de ce Jules Verne dont il avait fréquenté l'école avant d'intégrer le collège de la rue du Maréchal Juin. Dans sa chambre, il avait rebaptisé son vieux canapé fourni par les Compagnons d'Emmaüs en Sofa R-Way from LF (La Fère), en référence une chanson que sa mère écoutait en boucle. Kha pouvait passer des heures entières sur son canapé pour partir sur les océans avec le capitaine Nemo.
Le déclic arriva le 6 avril 2014. En matinée s'était couru le marathon de Paris avec un nouvel exploit de Kenenisa Bekele qui n'avait laissé que des miettes à ses poursuivants. Tesfa ne se priva pas pour titiller son fils qui le dépassait désormais en taille :
    • Dans dix ans, ce sera ton tour.
    • Je ne veux plus courir, s'entendit répondre Abebe Haïlé. Je veux partir sur les mers.

Tesfa en resta bouche bée. Il s'attendait à tout sauf à ça.

    • Chez nous, on est des coureurs, pas des marins, articula-t-il.
    • Eh bien, je serai le premier Kivala sur l'eau. Je veux partir de La Fère.
    • Et comment faire ?

Comment faire ? Kha n'y avait pas pensé. Il n'avait pas les moyens de se payer un bateau. La mer, il ne l'avait vue qu'en photo. Il se rappela de ses cours d'histoire avec Madame Blangy. Machinalement, il se mit à tapoter Blangy sur le clavier de son ordinateur et tomba sur Jacques Joseph Ducarne de Blangy. Coïncidence ou signe du destin, le personnage était étroitement lié à La Fère puisque c'est là qu'il avait expérimenté son invention destinée à venir au secours des naufragés des bateaux en perdition, sans jamais en avoir la reconnaissance

Tout devenait évident. Kha serait le nouvel inventeur de La Fère, le vengeur de Ducarne de Blangy, injustement dépossédé des honneurs de sa découverte. Il serait le Jules Verne de l'Aisne avant de devenir le roi du marathon pour faire plaisir aux Kivala du monde entier. Kha commença par imaginer l'engin de navigation original et confortable pour passer sur les rivières et les canaux, conçu pour une, deux, voire trois personnes. Le pendant du vélo-rail, version aquatique. Elément central : un canapé à équiper de flotteurs et un système de pédalier à démultiplication pour le faire avancer sans trop de peine. Bateau et banc de musculation à la fois. De quoi allier ses ambitions à celles de la lignée paternelle Kivala.

Les oncles Bocquillon acceptèrent de lui laisser un coin de leur grange pour lui permettre de réaliser son projet, tout en le regardant avec commisération et dédain. « Pauvre Abebe. L'ira pas ben loin avec son engin. L'est ben comm' son père. Tout dans les guiboles, rien sous la casquette ! » Les commentaires étaient souvent acerbes.

Pour son expérimentation, Kha avait tout prévu. Il mettrait son canapé flottant à l'eau du côté de la carrière du Trou Tonnerre. L'idée était d'arriver à au centre de Paris le jour du 14 juillet. Pour cela, il lui fallait descendre le cours du canal de Saint-Quentin, puis le canal latéral à l'Oise, passer sans encombre les nombreuses écluses, absorber l'Aisne à Compiègne, contourner l'île du Grand

Peuple, voir Nogent et... ne pas mourir. En parfait esthète soucieux de son image, Kha donna à son embarcation le nom évocateur de SOFA R2 pour, d'une part, la raison déjà évoquée, et, d'autre part Sofa R-Way ago from Drouot (du nom de la rue où il avait grandi à La Fère). Le jour du départ, le correspondant du Courrier Picard était là pour relater l'événement.

Tout se passa comme prévu. On commença à parler du jeune Kivala, sportif et aventurier, sur les ondes nationales. Il eut même les honneurs du journal de Jean-Pierre Pernaut. Kha pédalait et son aura grandissait. Le samedi 12 juillet, il n'était plus qu'à une trentaine de kilomètres de Paris. Ce jour-là, le Brocheton du Val d'Oise organisait un grand rassemblement de pêcheurs sur son parcours de l'Isle Adam. Les champions halieutiques avaient posé leurs lignes. Kha sentit son pédalier se gripper. Il avait accroché un hameçon par le fond. D'abord un, puis deux, puis des dizaines. Sur la berge, les pêcheurs contrits se mirent à l'invectiver. Il se sentit dériver vers le bord. Les pêcheurs menaçants ne s'attendaient pas à une si grosse prise. Quand le SOFA R2 toucha terre, trois gaillards furieux devant les dégâts causés à leurs engins de compétition en fibre de carbone, agrippèrent Kha et l'expédièrent dans une touffe d'armoise odorante tandis que d'autres, non moins énervés, empoignèrent l'embarcation et la retournèrent comme une crêpe. Ainsi s'acheva l'espoir de gloire d'un canapé sur l'Oise, par de sournoises cannes happé et un Kha nappé d'armoise courant pour échapper au festival de cannes. Moralité : D'où que tu viennes, d'Arsi ou de Gaule, l'Oise rit !

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