I believe I can fly... like a cat in the sky
Non, je ne t'infligerai pas des pages de lecture dans la langue de Shakespeare. Ce n'est pas ma cup of tea ni même ma coffee-cup. D'ailleurs, depuis mes années collège et lycée, j'ai oublié où était Brian. Ni in the kitchen, ni in the shower. Promis, j'ai vérifié, pas de Brian. Evaporé, envolé, désintégré le Brian. Alors, pour ce sunday matin sans sun, je voulais dire un grand merci à Jean-Louis Riguet, auteur de plusieurs ouvrages au Masque d'Or et aux éditions Dédicaces, entre autres, qui m'a accordée une interview sur son blog que je t'invite à visiter en cliquant sur le lien ci-dessous : http://librebonimenteur.wordpress.com/tag/gerard-lossel/
Et maintenant, un peu de lecture pour te donner des ailes...
Tout ce qui vole avait toujours exercé une fascination irrésistible sur Jacques. Hormis les insectes au vol aléatoire et sournois. Et encore ! Il y avait insectes et insectes. Du bon côté de la barrière, il rangeait les lépidoptères et les libellules. Du côté sombre, il y avait les mouches, moustiques, moucherons et autres hyménoptères capricieux. Car, pour Jacques, rien ne remplaçait le vol gracieux d'une cigogne, le flap-flap des ailes d'un cygne au décollage ou le sifflement indicible d'un faucon fusant sur sa proie. D'aussi loin qu'il s'en souvienne, le rêve de Jacques avait été de pouvoir égaler les oiseaux. De se fondre dans ce ballet aérien où seul le vent joue au chef d'orchestre pour un concerto fait de souffles et de silences.
Le chant
grave du traquet-rieur
Tout ce qui vole avait toujours exercé une fascination irrésistible sur Jacques. Hormis les insectes au vol aléatoire et sournois. Et encore ! Il y avait insectes et insectes. Du bon côté de la barrière, il rangeait les lépidoptères et les libellules. Du côté sombre, il y avait les mouches, moustiques, moucherons et autres hyménoptères capricieux. Car, pour Jacques, rien ne remplaçait le vol gracieux d'une cigogne, le flap-flap des ailes d'un cygne au décollage ou le sifflement indicible d'un faucon fusant sur sa proie. D'aussi loin qu'il s'en souvienne, le rêve de Jacques avait été de pouvoir égaler les oiseaux. De se fondre dans ce ballet aérien où seul le vent joue au chef d'orchestre pour un concerto fait de souffles et de silences.
Bac
en poche au début des années 70, il s'était lancé dans les études
d'ingénieur avant de rejoindre l'Aérospatiale. Blagnac,
Toulouse-Nord, était devenu son univers. Il avait participé à
l'élaboration de l'A310, premier appareil doté d'une voilure
supercritique dont il n'était pas peu fier. Le succès de l'Airbus
320 pour lequel il avait imaginé le fuselage ne venait que renforcer
Jacques dans sa passion pour tout ce qui était capable de se laisser
porter par le vent. Quand il avait passé la semaine devant sa
planche à dessin, il s'évadait le week-end venu en s'adonnant au
vol à voile. Jusqu'à ce jour de printemps 1982 où un ami pilote
lui parla d'un nouvel engin qui arrivait sur le marché. Un certain
Mosquito
mis
au point par Roland Magallon. Bien qu'il trouvât de mauvais goût le
nom de cette aile volante motorisée, Jacques se promit de tester
l'appareil.
Jacques
devint rapidement un adepte inconditionnel de l'ULM pendulaire.
Dorénavant, le moustique c'était lui. En moins fourbe et en plus
pacifique ! Ses escapades dominicales l'amenaient à survoler le
massif pyrénéen de l'Atlantique à la Méditerranée, tel un milan
noir suivant sa route migratoire. Du haut de son tricycle volant, il
se prenait pour Nils Holgersson découvrant son païs côté pile.
C'était sans compter sur Éole et ses caprices. Une première alerte
l'avait contraint à se poser en rase-mottes, tel un pionnier de
l'aviation, dans un champ fraîchement fauché, du côté du lac de
Montbel. A l’atterrissage, une bourrasque de vent retourna son
Mosquito
comme
une crêpe, obligeant le pilote à maintes contorsions pour se sortir
des tubulures enchevêtrées. Il s'en était tiré avec une belle
frayeur et une fracture du scaphoïde l'obligeant à trois mois
d'immobilité.
Pas de quoi décourager un « fou du volant »
comme le surnommaient ses amis. Dès qu'il prenait l'air, seuls le
vent, les nuages et sa propre fougue lui dictaient leur code de
conduite. Il faillit s'en mordre les doigts. Jacques faisait
aveuglément confiance à sa bonne étoile. Il était convaincu que
rien ne pouvait le détourner de sa passion. Que son heure n'était
pas arrivée ! Pas encore ! Qu'il avait, lui aussi, sa
mission à accomplir.
*
Aujourd'hui, Jacques a passé ses 65 ans. Il les a
fêtés au printemps dans la maison basque qu'il a pu s'offrir avec
ses économies et sa retraite d'ingénieur. Une bâtisse battue par
les vents, corniche de la Falaise, à Bidart, non loin de la chapelle
Sainte-Madeleine. Vue imprenable sur le large, sur ces reflets irisés
de la houle dont les percussions des rouleaux se mêlent à la
symphonie de l'autan et de l'hegoa. Une sensation de puissance
décuplée quand le chef d'orchestre du temps demande à ses éléments
de jouer fortissimo. Entre l'air et l'eau, le cœur de Jacques
balance comme une bille d'acier entre deux aimants. Il a découvert
la puissance de la vague de Parlementia que de jeunes surfeurs
viennent défier dans l'arène atlantique. Mais Jacques n'a plus
vingt ans. Son médecin l'a prévenu. Alors, il reste sur le rivage,
chevauchant les creux et les crêtes par procuration. « Nez au
vent, mains dans les poches » se plaît-il à répéter à qui
veut bien l'entendre.
C'est l'équinoxe d'automne. Les grandes marées sont
au rendez-vous. Les grondements de la houle semblent remonter des
entrailles de l'océan pour se marier au sifflement strident du vent.
Quelques intrépides en combinaison attendent la vague ultime pour
toréer la « bête ». Parmi eux, un tout jeune
adolescent. Moins de quinze. Jacques l'observe. Il se revoit un
demi-siècle en arrière. La même détermination. Le même regard
d'acier et une farouche volonté de dominer les éléments. Se
laisser porter par l'air ou dompter les vagues. Qu'importe, pourvu
que ça glisse et plus rien d'autre n'existe. Le jeune homme
disparaît dans un creux et réapparaît en Thésée triomphant du
Minotaure sur l'arête musculeuse d'un impressionnant rouleau
d'écume. Un ballet aquatique qui n'attend plus que l'apothéose.
La planche vole dans les airs. Son cavalier est
englouti par les flots. Jacques se redresse et scrute l'horizon
métallique. Cent mètres ? 200 mètres ? Impossible
d'estimer une distance quand le ciel et la mer se confondent. Il n'y
a plus à tergiverser. Jacques se sent l'énergie d'un Johnny
Weismuller au sommet de sa gloire. Le crawl il connaît. Même contre
le courant et le vent. Encore une fois, se sortir les mains des
poches ! Il y a une vie à sauver là-bas. Ce n'est pas lui qui
nage, c'est sa conscience qui lui dit d'avancer ! A chaque
mouvement de bras, une force contraire lui fait perdre la moitié du
chemin gagné. Il y est presque. Le jeune homme est brinquebalé par
les paquets d'eau. Jacques l'empoigne, lui dit de s'accrocher. Le
retour n'est pas plus simple. Des rouleaux d'écume s'abattent à
intervalles réguliers sur le sauveteur et son rescapé. Jacques
puise dans ses dernières ressources. La plage est proche. On vient à
sa rencontre. Des bras salutaires agrippent le jeune surfeur. Jacques
sent enfin le sable
sous ses pieds. Et puis... Plus rien...
*
Sur
la plage, un homme est étendu. C'est Jacques ! Au-dessus de
lui, le ciel bleu pétrole a laissé place à une voûte d'une
blancheur immaculée. La lumière est aveuglante. Il n'entend plus ni
le vent ni les vagues. Juste le chant d'un oiseau. Une fauvette qui
zinzinule ? Un geai qui cageole ? Il n'a jamais su trop
bien différencier les deux. Jacques est reparti dans les airs. Mais
est-ce vraiment lui qui vole ? Comment peut-il à la fois voler
avec les oiseaux et se prélasser sur le sable. Jacques se revoit en
Mosquito.
La dernière fois qu'il s'était senti aussi léger, c'est quand un
maudit coup de tramontane avait brusquement mis fin à son histoire
d'amour avec le fameux Mosquito,
paix à son âme ! C'était quand déjà ? Les années
défilent. Flash-back en accéléré sur une vie. Jacques file à
toute vitesse dans ce tunnel blanc éclairé de mille spots. Ça y
est, c'est là !
La
travelling arrière de Jacques se fige. C'est lui à 45 ans. Ce
dimanche-là, il avait jeté son dévolu sur un terrain au sud de
Perpignan. Objectif : le survol des réserves naturelles du
Mas-Larrieu et de Cerbère-Banyuls, avec un crochet par l'église
Notre-Dame des Anges. Ce jour-là les anges devaient être occupés
ailleurs. Dès de la décollage, il avait eu un pressentiment.
Quelque chose ne tournait pas rond dans son Mosquito.
Un
cliquetis inhabituel dans le vrombissement ordinaire du moteur. Ce
n'était que le début d'événements en cascade qui le dévièrent
inexorablement de la route prévue. Le vent se mit à tourbillonner
dans tous les sens. Un orage aussi soudain qu'imprévu et le borasco,
ce vent en rafales que redoutait tant Jacques, le poussèrent
toujours plus loin vers les contreforts pyrénéens.
Le « moustique à moteur » se mit à
tituber comme un insecte soumis à une dose mortelle de pyrèthre.
Jacques perdait inexorablement de l'altitude. En-dessous de lui, les
cimes des arbres se rapprochaient dangereusement. Le choc devenait
inévitable. Quand Jacques avait repris conscience, le soleil était
revenu. Du sang ruisselait sur son visage griffé de toutes parts.
Mais il y avait surtout cette douleur aiguë au niveau de son genou
droit. Sa jambe était en équerre. Il ne sentait plus ses orteils.
Il essaya de s'extraire d'un amas de branche et de tubes métalliques.
Impossible de bouger. Chaque geste le faisait souffrir davantage. Il
n'avait aucune idée de l'endroit où il se trouvait. Autour de lui,
les hêtres dressaient leurs silhouettes majestueuses. Leur
frondaison avait dû amortir sa chute, les branches se contentant de
lacérer son corps.
Le seul recours qui restait à Jacques était son
téléphone portable. Un des premiers appareils qui venaient
d'arriver sur le marché. L'appareil se trouvait dans la poche
intérieure de son blouson aviateur. Encore fallait-il, d'une, qu'il
ait résisté au choc. Et, d'autre part, que les ondes parviennent
jusqu'ici. Jacques se tortilla sans à-coups pour extraire le
cellulaire de son étui. La
batterie
et le réseau étaient proches du zéro. Jacques réussit néanmoins
à composer le 18. Il lui fut hélas impossible d'expliquer à son
interlocuteur où il était tombé. Avant deux minutes de
conversation, la technique avait rendu l'âme. Jacques souffrait de
plus en plus et, pour la première fois de sa vie, il entrevit la
mort. Il mourrait ici, dans cette forêt de chênes et de hêtres,
avec son Mosquito
pour
seul linceul.
Le soleil déclina. Jacques reconnut à quelques pas de
lui une bruyère arborescente. Au moins sa tombe serait fleurie,
pensa-t-il. Pour oublier ses souffrances, il se concentra sur les
bruits qui l'entouraient. Au début, il ne perçut que le silence. Un
silence qui se peuplait de bruits indicibles auxquels Jacques ne
prêtait jamais la moindre attention. Le frôlement des feuilles. Le
craquement incessant des branches comme autant de battements de
cœurs. Le bourdonnement des insectes du soir cherchant une dernière
fleur à butiner. Pour une fois, Jacques appréciait la compagnie des
insectes. Jacques eut l'impression d'assister à la mise en place
d'un orchestre. Les musiciens de la nature accordaient leurs
instruments pour accueillir la nuit.
Cette nuit-là, Jacques ne parvint pas à dormir,
oscillant entre l'espoir de voir arriver ses sauveteurs et l'idée de
quitter cette Terre sans l'avoir vue une dernière fois de haut. Les
oiseaux nocturnes avaient pris le relais de leurs frères de lumière.
Quand les lumières de l'aube traversèrent le feuillage, la naufragé
du Mosquito se sentit perdu. Il avait eu la prétention de voler avec
les oiseaux. Il mourrait desséché comme une tortue sur le dos.
Le soleil était déjà haut dans le ciel quand des
aboiements de chiens se firent entendre. Des cris parvenaient d'entre
les buissons. Jacques rassembla ses forces pour hurler : « A
l'aide ! Je suis là ! » Sa douleur se réveilla.
Vive ! Incisive. Il était en sueur. Les cris s'étaient tus. Il
se redressa sur ses coudes. Deux bergers allemands approchèrent
leurs truffes de son visage collant. Des hommes en uniforme les
suivaient :
- On peut dire que vous avez eu de la chance. Avec le peu d'indications que nous avions, je ne pensais pas vous trouver aussi vite, déclara celui qui semblait diriger l'équipe de secours.
Deux heures plus tard, Jacques s'endormait sous l'effet
de l'anesthésie à l'hôpital de Perpignan.
*
C'était il y a si longtemps. Pourquoi Jacques se
retrouve-t-il maintenant à ressasser cette histoire d'un passé
vieux de plus de vingt ans ? Et pourquoi tout est si blanc
autour de lui ? Où sont les chants des oiseaux et les
frôlements du vent ? Il vole au-dessus de son propre corps
étendu sur la plage de la Parlementia. Le voilà qui rouvre les
yeux. Il est dans une chambre d'hôpital. L'histoire a parfois des
hoquets incontrôlés. Un homme en blouse verte est penché au-dessus
de lui :
- On peut dire que vous avez de la chance. Avec le peu
d'espoir que vous nous laissiez, je ne pensais pas
pouvoir vous ramener.
Jacques ne dit rien. Il touche sa jambe. Elle est
intacte. Son visage aussi.
- Dites-moi Docteur, où sommes-nous ?
- Hôpital de Bayonne, mon cher Monsieur Zeller !
- Et vous pouvez me dire ce qui m'est arrivé ?
- Le cœur, monsieur. Faut dire qu'à votre âge, vous avez un peu forcé sur vos capacités. Mais rassurez-vous, le petit va bien.
Le petit ? Ça y est ! Jacques revient à la
vie. Il se souvient. La vague ! Les paquets d'eau. Le surf !
Le garçon sur la planche ! La planche sans le garçon !
Une infirmière entre dans la chambre.
- Monsieur Zeller, un jeune homme et sa mère souhaiteraient vous parler. Vous en sentez-vous capable ?
S'il s'en sent capable. Bien sûr qu'il s'en sent
capable. Jacques n'est pas du genre à se laisser abattre par la
première brise venue. Le jeune homme rentre en premier. C'est lui !
Il sourit ! Jacques ne lui laisse pas le temps de parler :
- Assieds-toi et appelle-moi Jacques ! Je sais, tu vas me dire merci ! Mais, je suis sûr que tu en aurais fait de même pour moi si le cas s'était présenté.
- C'est vrai Monsieur Jacques. Je suis content que vous vous en soyez tiré. Et mon père aussi.
- Ton père ?
- Oui, il aurait aimé vous le dire mais il est parti en campagne pour la LPO. Vous savez, les oiseaux ?
Jacques a un peu de mal à suivre le discours de son
visiteur. L'élégante quadragénaire qui l'accompagne prend la
parole.
- Monsieur Zeller. Excusez mon fils. Il est encore un ému par tout ce qui lui est arrivé ces derniers jours. Je suis consciente que sans vous, il ne s'en sortait pas...
- Je n'ai fait que de suivre mon instinct, Madame. Le destin a fait le reste. Voyez-vous Madame …
- Dalibert !
Jacques se tait. Pourquoi ce nom est-il resté gravé
au fond de sa mémoire ? Pas le temps de s'interroger plus
longtemps. La femme reprend la main.
- Nous ne nous étions jamais rencontrés Monsieur Zeller. Mais Éric, mon mari, m'a souvent parlé de vous.
- Je le connais ?
- Pas directement. Vous avez eu l'air surpris que Jorge vous parle d'oiseaux. Il faut vous dire que son père s'est passionné très tôt pour les oiseaux. Éric a fait de
sa passion son métier.
- Comme moi, intervient Jacques.
- Et comme vous, il lui est arrivé de sauver une vie. Et tout ça, grâce au traquet-rieur ! Il avait alors une quinzaine d'années. De temps en temps, il accompagnait son père, le grand-père de Jorge, qui était alors pompier professionnel. Ce jour-là, un appel leur était parvenu. Un homme blessé, impossible à localiser. Éric avait passé et repassé la bande. Et c'est là qu'il avait reconnu le chant grave et rocailleux du traquet-rieur. Il savait parfaitement que les derniers couples de cette espèce aujourd'hui disparue nichaient dans le massif des Albères. Cet élément a été déterminant dans les recherches et l'histoire s'est plutôt bien terminée pour tout le monde. Monsieur Zeller, je suis heureuse de vous rencontrer aujourd'hui. J'espère que votre jambe va bien...
Jacques a écouté ce long monologue sans décrocher la
moindre parole. Dans ses souvenirs, tout s'éclaire. Dehors, des
nuages bourgeonnent dans le ciel. Le concerto de la nature est sans
fin. Il n'a qu'une hâte : pouvoir à nouveau arpenter la plage
le nez au vent, et les mains dans les poches pour de bon.
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