Sous la surface irisée de l'étang, Tout est calme, tout est reposant, Seules les grenouilles en filles bien, Coassent en se donnant du bien... |
Les temps selon Tomi...
Envies
d'ailleurs
Ça
doit être les hormones. Chaque fois que les jours rallongent, ça me
reprend. L'envie de partir. De prendre la route. N'allez pas croire
que je suis du genre coureuse. Mais, c'est plus fort que moi. Un
besoin irrépressible, un désir d'ailleurs. Et dire que Simbala
vient de me passer la bague au doigt. On n'me la fait pas, à moi.
J'ai bien vu dans son regard qu'au même moment, il pensait à une
autre. Les hommes sont comme ça. Ils s'affolent devant mes longues
jambes. Ils reluquent ma démarche et, dès qu'une autre passe devant
eux, ils se détournent de moi.
Depuis
le temps, je devrais être blasée. C'est que, des voyages, j'en ai
fait. Des hommes j'en ai connus. Et pas que de la première
fraîcheur. Alors, j'en reviens toujours à mon beau Francis. Un
amant comme on n'en fait plus. Y a pas plus fidèle. Son défaut :
il n'aime pas voyager lui. Comme si on lui en avait coupé l'envie.
Un peu casanier le Francis. Quand on s'est connu, l'était jeune et
fringant. Il me faisait une de ces cours avec ses 180 centimètres
tout déployés. J'ai pas pu résister. Bon, il s'est un peu déplumé
depuis. Mais je sais que je peux compter sur lui. C'est pas comme ce
Simbala. On ne m'achète pas avec des bagues, moi !
Il
est pas méchant Simbala. Plutôt dans le genre collant. Et puis, ce
que je ne supporte pas avec les hommes, c'est cette fausse
prévenance. J'ai bien compris son cinéma au Simbala, paraît que ça
signifie lion, ça reste à démontrer ! Depuis que je porte sa
bague, il vient me voir tous les jours. Lui, il habite Ségou, sur
les bords du fleuve Niger. J'aime pas, c'est trop sec là-bas. Alors,
il m'a laissé vivre ma vie ici. Le coup de la bague, c'était un
prétexte ! Une manière détournée de s'adresser à celle qui
occupe ses pensées bien plus que moi. S'il croit que je ne l'ai pas
compris, il se met le doigt dans l'oeil. J'ai fait semblant de rien.
J'ai bien entendu les mots qu'il a échangés avec son pote Assama :
« Avec un peu de chance, Lise aura le message pour la
Saint-Valentin ». Tu ne me la feras pas à moi, Simbala.
D'ailleurs, je m'en vais faire mes valises.
C'est
décidé. Je m'en vais. J'en ai trop envie. J'ai des copines qui me
disent que je ne tiens pas en place. Je ne sais pas comment elles
peuvent supporter de vivre toute leur vie au même endroit. Simbala
est venu me voir, la gueule enfarinée. Tout juste s'il n'était pas
content de me voir partir. La vie c'est la vie mon gars ! Et les
hormones sont les hormones, tu ne les contrôles pas. J'ai un peu
étudié mon plan de route. Au départ, j'avais envie
de changer d'itinéraire. De découvrir d'autres pays, d'autres
contrées. D'autres hommes peut-être ! Et puis, chaque fois
c'est pareil, je me retrouve grosso modo à faire le même trajet.
C'est plus fort que moi !
Adieu
Simbala. Ta bague, je la garde. On a passé un bon moment ensemble.
Mais je crois qu'on n'était pas fait l'un pour l'autre. Ce soir, je
m'en vais dormir du côté des dunes de Bintagoungou. J'adore. Le
sable y est presque aussi blanc que ma robe préférée. Je pense
qu'on sera plusieurs à s'y retrouver. Ça va être de la folie !
J'avoue que j'ai quand même un petit pincement au cœur en quittant
le delta. Je ne veux pas trop le montrer à Simbala. Pas envie qu'il
se fasse la moindre illusion., Ceci dit, je pense qu'on se reverra
tôt ou tard. En simples amis !
J'ai
fait le début du voyage avec quelques copines. Qu'est ce qu'on a pu
leur mettre aux hommes ? Juste une mise au point après tout ce
qu'ils colportent à notre sujet. Y avait Mélissa qui s'esclaffait :
« Si les grenouilles se changeaient en prince charmant, ça se
saurait ! » Et puis Cindy qui bougonnait : « Des
enfants, j'en ai eus, mais jamais un homme pour les porter.
J'voudrais les y voir. Sont bons qu'à donner le départ, mais à
l'arrivée, c'est toujours nous qui les avons dans les pattes. »
Moi Marie je me taisais. J'ai beaucoup pensé à mon Francis
aujourd'hui. L'est pas comme ça, lui. Toujours prêt à m'aider pour
le ménage et les courses. Pendant le temps qu'on passe ensemble bien
sûr !
J'adore
faire la route. La fatigue ne me pèse pas. Je m'aperçois quand même
qu'avec l'âge, je deviens plus craintive. La peur de la mauvaise
rencontre. Ou de l'accident. C'est venu à l'automne dernier. Je
faisais le voyage avec Dominique et Sarah. J'avais pris la tête du
convoi. On venait de passer Barcelone. J'ai juste eu l'impression de
voir un éclair. Et puis, plus rien ! Je me suis arrêtée pour
les attendre. Ils ne sont jamais venus. J'ai fait demi-tour pour les
retrouver. C'était trop tard. Ils avaient été éjectés et
gisaient inertes au bord de la route. Depuis, je ne voyage plus aussi
tranquille. Mais bon, quand on a été habitué à cette vie,
difficile d'y renoncer.
Ce
matin, Kristina et Zuzana sont venues nous rejoindre. Des filles
chouettes. Elles nous ont dit que c'était la première fois qu'elles
faisaient la route dans ce sens. Avec Cindy et Mélissa, on les a
prises sous notre aile. Ça les a rassurées d'être encadrées par
de vieilles routardes comme nous. On a décidé de se diriger un peu
plus vers la côte. Les routes
y sont plus sûres et, au moins, on y trouvera de quoi becqueter. En
attendant, Cindy a besoin de faire une halte. Elle prétend qu'elle
est indisposée. Moi, je pense plutôt qu'elle a dû bouffer une
cochonnerie. Du genre chimique comme ils en mettent maintenant sur
les cultures. Faut dire que la Cindy, elle a toujours eu un penchant
pour la goinfrerie. Elle espère avoir perdu ses rondeurs d'ici la
fin du voyage. « Sinon, Walter ne voudra plus de moi »,
minaude-t-elle à tout bout de champ.
La
tuile nous est tombée dessus hier soir, tout près de l'Oued Grou où
on avait convenu de passer la nuit. C'est Kristina. Assurément la
plus belle d'entre nous. De superbes yeux noirs et une cambrure à
réveiller les instincts les plus bas. Ça n'a pas loupé. Deux
hommes l'ont prise pour cible. Tous les mêmes. Des prédateurs !
On ne sait pas ce qu'elle est devenue mais on ne donne pas cher de sa
peau. C'est surtout Zuzana que ça a affecté. Elle n'avait plus
envie de continuer l'aventure. Faut croire qu'elle aussi, les
hormones la travaillent. Ce matin, elle est toujours là. On a
poursuivi notre voyage. En silence.
Je
commence à sentir la fatigue. Les émotions et la disparition de
Kristina n'ont rien arrangé. J'ai vraiment hâte d'arriver. Ce ne
sera pas encore pour demain. Aujourd'hui, la route me pèse plus qu'à
l'accoutumée. Me lasserais-je de ces interminables entre-deux ?
Je commence à gamberger. L'impression d'être un éternel migrant.
Dès que j'arrive quelque part, je pense déjà à en repartir. A
moins qu'une force supérieure ne m'oblige à voyager. Et si c'est
Francis qui avait raison ? Faudra qu'on en discute ensemble.
J'ai toujours pensé que la sédentarité n'était pas pour moi. Je
suis prête à revoir ma position si on m'avance de bons arguments.
A
propos de position, j'ai hâte de me retrouver dans les bras de
Francis. C'est quand même plus réconfortant que Simbala. J'en avais
presque oublié sa bague. Il a déjà dû me remplacer par une autre.
Il paraît même que c'est une habitude chez lui, d'après ce que
m'ont raconté Cindy et Mélissa : « Tu sais, tu n'es pas
la première ni la dernière à qui il aura offert une bague. Mais un
jour, on l'a surpris avec Lise. Ça a levé tous nos doutes. »
Après tout, je m'en fous. Je préfère m'envoyer en l'air avec
Francis. Lui au moins, c'est une valeur sûre. Et puis, c'est quand
même lui le père de mes enfants. Je ne sais pas si je suis une
bonne mère à les laisser comme ça. Ils ont préféré le mode de
vie de leur père.
J'ai
comme l'impression que le printemps n'est pas encore arrivé jusque
là. Pourtant, le mois de février est déjà bien avancé. Dans
l'eldorado maraîcher du Campo de Dalias, les tomates mûrissent déjà
à tour de bras. Ceci dit, je n'en ai rien à faire. Ce n'est pas ma
tasse de thé comme on dirait., Les légumes, très peu pour moi. A
la fadeur des aubergines, j'ai toujours préféré une viande bien
saignante. Même si mon petit faible, et ça étonne toujours, c'est
les cuisses de grenouille. Allez savoir pourquoi ! Je suis née
comme ça. Je dois tenir ça de mes parents.
Bientôt
la fin. Comment Francis va-t-il m'accueillir ? J'ai le sentiment
que mes copines de voyage sont dans le même état d'esprit que moi.
Même Zuzana qui a eu du mal à digérer la séparation d'avec
Kristina. Elle est venue se confier à moi, pendant qu'on faisait une
pause près de l'étang de l'Ayrolle : « Toi, tu as ton
Francis. Mais moi qui n'ai jamais été amoureuse, crois-tu que je
pourrai plaire à quelqu'un ? » Il a fallu que je la
rassure. Que je lui dise qu'avec sa beauté et son éclat naturel, ça
ne faisait aucun doute. Mais, je l'ai aussi mise en garde : « Ne
te donne pas au premier venu. Laisse-le te faire la cour. Tu sais, il
ne faut pas qu'il pense que tu es une Marie
couche-toi là.
Même si tu en as très envie.
C'est ça aussi, la vie. Se servir de
son expérience personnelle pour éviter aux plus jeunes de tomber
trop vite du nid. Me voilà presque philosophe. Des paroles de
sagesse qui ne vont pas empêcher une partie de jambes en l'air avec
Francis dès mon arrivée. J'en ai trop besoin, Ça doit être la
période qui veut ça. Et tant pis si je retrouve une nouvelle fois
en cloque. Quand on aime on ne compte pas.
Je me sens toute fébrile.
L'impression de ne plus avancer. Je reconnais ces paysages. La
moindre colline, le plus petit des hameaux. Les toits pentus, les
rangs de vignes. A vol d'oiseau, je dois être tout près. Après le
virage, je m'attends à le voir, fier comme Artaban, la tête jetée
en arrière pour m'accueillir. Sauf que là, surprise ! Comme
prévu, Francis est là. Mais il n'est pas tout seul. Une jeune fille
blonde se tient à côté de lui. Toutes les mêmes. Elles profitent
qu'on ait le dos tourné pour aller dévoyer votre plus fidèle
partenaire. Tiens, tiens, je me découvre jalouse ! Après tout,
ne me suis-je pas laissé moi-même passer la bague au doigt par
Simbala ?
Je ne vais quand même pas faire une
scène à Francis après six mois de séparation. Je fais semblant de rien.
Je l'accoste jouant du croupion. Et voilà que l'autre blondasse
s'approche de moi. Qu'est-ce qu'elle me veut ? Je ne partage
pas. En plus, on est le 14 février. Je l'avais calculé.
Aujourd'hui, je suis amoureuse de Francis et bien décidée à le
faire craquer. Pas question que la première venue se mette en
travers de mes projets. Mais, visiblement, la nana n'en a cure. La
voilà qui s'approche de moi. Finissons-en. S'il faut aller à la
prise de bec, je ne crains personne. D'autant plus que le mien, de
bec, est bien acéré. Rouge comme mes jambes. Rouge comme la colère
qui me gagne, foi de cigogne. Je vous raconte ma vie. Mais je me
rends compte qu'on n'a pas fait les présentations. Moi, je suis du
genre Ciconia ciconia. Je sais, ça fait redondant, mais c'est comme
ça. Ça vous cloue le bec, non !
J'en reviens à l'autre blonde. J'ai
tout compris. Elle ne m'avait pas volé mon Francis. L'était
d'ailleurs plein d'ardeur le gars Francis, en me revoyant. Quel
pied ! Non, la jeune fille était simplement venue « lire »
ma bague. Quatre lettres noires formant le mot LOVE qu'elle avait
noté sur son calepin. Elle me parlait, pensant que je ne la
comprendrais pas. Je ne suis pourtant pas née de la dernière pluie.
« Génial. Je vois que Simbala a pensé à sa Lise, son
ornithologue préférée. J'aimerais tellement qu'il soit là. En
attendant, je vais lui communiquer ta date d'arrivée. J'attends
encore une bonne douzaine de cigognes. Tu vois, tu n'es pas la
dernière, Marie ! » Dans le parc des cigognes de
Hunawihr, le printemps sera chaud !
Bel été sous les étoiles filantes, plein de
mots, de lettres et de bonheurs !!!
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire