mercredi 2 décembre 2015

Ombres et lumières sur la Terre ! Treize lunes et un mystère ! 

Papier paru dans Ouest-France Nantes le mercredi 2 décembre 2015
Papier paru dans Presse-Océan le mardi 1er décembre 2015

Matinée de dédicaces prévue le 

Dimanche 6 décembre, de 10 h à 12 h 30, au Café de la Place du Vieux-Doulon, Nantes







Pour toi lecteur, un peu de lecture pour sortir de la torpeur et apporter une lueur d'espoir quand les ombres menacent la Terre :

Les voleurs d'ombres

Tout avait commencé une nuit sans lune. Sans lune et sans vent. Semblable à tant d'autres nuits. Combien étaient-ils ? Des dizaines, des centaines, des milliers ? Nul ne le sait. Nul ne l'a jamais su. Toujours est-il que tout commença ainsi. Au matin, comme tous les matins, Sully se leva la tête embrumée et les yeux dans le vague. Encore une journée à arpenter le parc municipal. A réprimander les garnements piétinant ses massifs de fleurs. A ramasser les déchets abandonnés par les noctambules. Ce n'est pas qu'il s'ennuyait. Il y avait bien pire comme métier. Il aurait pu se retrouver à serrer des boulons dans une usine comme son cousin Aristide. Ou à décharger des vraquiers de ciment comme Japhet et Samuel qui avaient fait la route avec lui.
Lui avait eu la chance de croiser le chemin du directeur des espaces verts. C'est ainsi qu'il avait décroché ce poste de gardien de square intérimaire et, par la même occasion, le logement de fonction à l'entrée du parc. Double aubaine ! Il était mal placé pour se plaindre. Il réajusta les boutons de son uniforme et tourna le bouton de son transistor. La météo nationale prévoyait une belle journée. Le soleil pointait ses premiers rayons par-dessus le mur d'enceinte. La radio diffusait un vieux standard des Shadows que vint interrompre un flash d'information. En temps ordinaire, Sully ne prêtait guère d'attention à l'actualité quotidienne. Le nom de sa ville, prononcé avec insistance par le journaliste, lui fit dresser l'oreille. La dépêche d'une agence de presse annonçait d'étranges phénomènes observés au cours de la nuit au-dessus de Darktown où toutes les lumières s'étaient éteintes simultanément, sans qu'il n'y ait eu de coupure d'électricité. « Une énigme pour les enquêteurs déjà sur l'affaire. Aucune conséquence n'est à signaler sur la population », concluait le commentateur.
Sully se demanda à quoi bon donner ce genre d'information sans importance. Il regarda sa montre et avala une dernière gorgée de café, désolé de devoir couper le Wonderful Land égrené par la guitare de Hank Marvin. Dans le parc, il entama sa première tournée matinale. Rien de particulier à signaler jusqu'au massif de buddleia où il aimait à venir observer la danse des papillons quand ses pensées vagabondaient. Une tache sombre au sol attira son attention. Il pensa tout d'abord à un vêtement oublié par un de ces fêtards qui venaient parfois finir ici une nuit trop arrosée. En s'approchant, Sully se rendit compte qu'il n'en était rien. La tache, pourtant bien visible sur les gravillons, n'avait aucune consistance. Ce n'était qu'une forme. Une silhouette bien dessinée de jeune filles aux formes avantageuses. Une ombre projetée au sol. Le parc était pourtant bien désert à cette heure matinale.
***
Pendant que Sully arpentait les allées du parc Manantena, les rues de Darktown sortaient de leur torpeur d'une nuit d'été. Tout le monde ne parlait que de ça. Tout le monde en parlait, mais ils n'étaient que peu à avoir observé le phénomène. Seuls les insomniaques et les travailleurs de la nuit pouvaient en témoigner. Ça n'avait duré que l'espace d'un quart d'heure et tout était revenu à la normale. Il n'en demeurait pas moins un mystère. Quand Tiavina, que ses collègues appelaient Tia par commodité, arriva au studio de prise de vue, tout se passa comme d'habitude. On la coiffa, on lui fit revêtir une large robe évasée et vaporeuse, et elle s'installa sous les projecteurs. C'est à cet instant précis que tout bascula.
MiK, le chef opérateur, fut le premier à s'en rendre compte. Il avait beau forcer sur l'intensité de la lumière. Aucune ombre ne se projetait sur le fond de la scène. Les rayons lumineux traversaient Tiavina comme si elle n'existait plus. Le phénomène se reproduisit avec Kristina, puis avec Anissia. Les techniciens défilèrent les uns après les autres devant les projecteurs. Tantôt une ombre finement découpée se profilait sur le fond d'écran, tantôt celui-ci gardait sa blancheur immaculée. La séance plongeait les assistants dans un océan d'incompréhension. Que fallait-il faire ? On changea les spots, on se déplaça dans un studio voisin. Sans résultat. Le mystère restait entier. Il fallait alerter les autorités locales. On amena des experts, les savants les plus érudits du pays. Et bientôt, la rumeur se propagea : un ou des voleurs d'ombre étaient à l'oeuvre.
Dans le parc Manantena, Sully était resté dubitatif devant la silhouette allongée sous les buddleia. Il l'avait observée, contemplée, admirée sous toutes les coutures. Il lui trouvait une grâce et une légèreté envoûtante. Il se jura de n'en parler à personne. Manquerait plus qu'il perde sa place. Ce serait son secret à lui. Tout au long de la journée, l'ombre n'avait pas bougé. La rumeur avait fini par franchir les grilles du parc : « Méfiez-vous des gens sans ombre ! » Des histoires de malédictions et d'ensorcellement, il en avait entendu de toutes sortes au village quand il était enfant. Il n'avait jamais su s'il fallait y croire ou pas. Le soir, après sa dernière tournée d'inspection, il rentra chez lui et actionna la serrure à double-tour. « On n'est jamais assez bien protégé », se dit-il, emmenant avec lui, dans ses rêves, l'ombre énigmatique du parc.
***
L'affaire de Darktown prit bientôt une dimension nationale. D'autant plus que le phénomène se reproduisait chaque nuit. Les « sans ombre » n'osaient plus sortir de chez eux par peur des regards suspicieux de leurs concitoyens. On les fuyait, on les évitait, on les pourchassait même. Et chaque nuit, de nouvelles ombres étaient volées sans que leur propriétaire ne s'en rende compte. Ce n'est qu'au matin, au soleil levant, qu'il remarquait qu'il était contaminé à son tour. Il s'empressait alors de s'enfermer chez lui, se barricadant derrière les volets clos pour vivre à l'obscurité. Les voleurs d'ombres continuaient à étendre leurs tentacules.
Une nuit de pleine lune, malgré le couvre-feu, Sully prit son courage à deux mains pour descendre dans le parc. Il voulait s'assurer que la silhouette de sa « bien-aimée » était toujours là. Une forme humaine s'agitait sous les buddleia. Sully se tapit derrière le tronc d'un séquoïa centenaire et observa la scène. Une jeune fille était affairée à gratter le sol. Elle ne le vit pas arriver et resta figée de stupeur quand il l'interpella :
  • Vous cherchez quelque chose Mademoiselle ?
  • Mon ombre ! Elle est là, je le sais !!!
Dans ses yeux éclairés par un rayon de lune, Sully vit l'effroi et la peur. Il se voulut rassurant :
  • Je veux bien vous aider. Dites-moi seulement votre nom.
  • Tiavina. Je m'appelle Tiavina. Vous n'avez pas peur ? Tout le monde a peur des gens comme moi.
  • Moi non. Je vous connais depuis la première nuit.
  • Vous étiez là quand Ils m'ont volé mon ombre et vous n'avez rien fait ?
  • Ils ?
  • Les voleurs d'ombres. Quand leur butin sera suffisant, ils en recouvriront la Terre et cacheront le Soleil à jamais.
  • Comment sais-tu tout ça ?
  • Depuis qu'ils ont commencé leur œuvre, ils me tourmentent toutes les nuits. Ils prétendent que dans leur fuite, avant le lever du jour, un des leurs a perdu mon ombre au-dessus de la Ville. Que s'ils ne la retrouvent pas, ils ne me lâcheront plus et...
  • Et ?
  • Il faudra que je devienne une des leurs. Je ne veux pas devenir une ombre fuyante.
Sully se gratta la tête. L'affaire lui parut plus grave et plus complexe qu'il ne l'imaginait. Il prit la main de Tiavina et lui déclara solennellement :
  • Je veux bien vous aider, mais il faut que nous trouvions le moyen de les arrêter. La première chose à faire est de redonner de l'espoir à tous les habitants de Darktown.
  • Impensable. Ce sont les Maîtres de la Nuit. Quand Ils auront assez d'ombres pour éteindre la lumière du Soleil, Ils auront gagné.
Sully regarda Tia. Derrière son visage épouvanté, il devina celui qu'il avait attribué à la silhouette de sa « bien-aimée ». Pour elle, il se sentait prêt à affronter les plus sombres démons. La présence de Tiavina lui enlevait toute angoisse.
  • Dès demain, si vous l'acceptez, nous sortirons dans les rues de la ville, main dans la main, pour montrer qu'avec ou sans ombre, nous pouvons affronter la peur en nous rassemblant, lui proposa-t-il.
Au début, leur démarche ne se heurta qu'à des regards réprobateurs. Pensez-donc, un gardien de square venu d'ailleurs et une « sans-ombre » déambulant dans la rue. Pas de quoi altérer la détermination de Sully. Dans les yeux de Tiavina perçait maintenant une pointe d'admiration pour son sauveur. Celui-ci se mit à haranguer la foule.
  • Sortez de vos caves et de vos maisons ! Levons-nous ensemble pour aller récupérer nos ombres.
Les portes s'ouvrirent timidement. La foule commença à se masser autour de Sully et de Tiavina. Quand le soleil disparut derrière la tour du Couchant, la peur avait laissé la place à l'espoir. Cette nuit-là, les Maîtres de la Nuit effectuèrent leur dernière razzia. Au matin, le Soleil ne se leva pas comme d'habitude. Et pour cause ! Les voleurs avaient tissé leur ciel d'ombres et, sûrs de leur fait, s'apprêtaient à fêter leur victoire dans les rues de la Ville. A l'instant précis où Sully l'avait prévu, un rayon de Soleil déchira le voile opaque. Une tache lumineuse aux formes de sa « bien-aimée » se dessina au sol. Les voleurs d'ombres essayèrent bien de se réfugier dans les recoins les plus sombres, mais la lumière les rattrapait et les terrassait un à un. Ainsi Sully avait réussi à vaincre les démons de la nuit en remplaçant l'ombre de sa bien-aimée par un souffle de vent. L'espoir avait définitivement changé de camp.
Tiavina empoigna la main de Sully et l'entraîna sous les buddleia du parc Manantena, laissant les habitants de Darktown se débrouiller pour récupérer leurs ombres. Si d'aventure, vous en croisez un dont l'ombre vous paraît suspecte, n'ayez pas peur, ce n'est pas l'ombre qui fait l'Homme, c'est la lumière !

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