lundi 8 février 2016

Pedro ou le retour du Lune-Di

De gens, d'orme et sons à la Pousselisière

Saint Bhâl, priez pour nous !
      Loir ou écrire, il faut savoir choisir ! Je bats ma coulpe et tout le reste itou, cher ami lecteur et cher blog, de vous avoir délaissés depuis tant et tant de temps. A force de faire le loir, l'hiver avance à grands pas et la pendule, maitresse fame (ça c'est pour la réforme de l'orthographe) n'est pas du genre à vouloir s'arrêter pour un oui pour un non. 
      Pour m'aider à retrouver ma plume, j'ai convoqué les esprits de Pedro et de Louise à la Pousselisière. Je leur ai chanté ma petite sérénade :
Prête-moi ta plume mon ami Pedro...
Et en ce lundi venteux, je peux te l'annoncer ami lecteur, j'ai refermé le dernier chapitre de l'aventure que je vais commencer à te raconter aujourd'hui, mais dont tu ne connaîtras la suite que sur demande express dans ce blog. Eh oui, faut savoir se faire désirer. C'est ça l'amour !

And now, Ladies and Gentlemen, bonnes lectures :


             L'été ruisselait en rayons obliques sur les arbres de la Pousselisière. Une fin de saison en lent déclin vers les grandes marées d'équinoxe. Pedro retrouvait son quotidien : lever aux premières lueurs du jour et coucher avant même que les ombres n'aient eu le temps de s'étirer. Il ne s'appelait pas vraiment Pedro. Un prénom d'emprunt pour coller une saveur exotique à ses semelles usées. Alors, va pour Pedro. Usé, il l'était bien un peu aussi. Trois quarts de siècle et des poussières. « Mais il vient un temps où chaque grain de poussière devient un rocher de plus à faire rouler devant soi. » C'est qu'il avait des lectures, le Pedro. Le corps frêle mais des connections intactes sous le capot.
Quand il avait annoncé à sa Dulcinée, la vaillante Louise de la Pousselisière, qu'il allait planter une rangée de six ifs sur la partie haute du domaine, elle avait cru à une nouvelle lubie de son hidalgo du Pays des Achards. Lui, l'avait renvoyée à ses études en lui parlant du mythe de Sisyphe. Ce à quoi Loulou, ou Louisette, selon l'humeur du moment, avait rétorqué : « Si tu tenais du mythe, ça se saurait. Toi, mon Pedro, je dirais plutôt l'ermite au logis. » Référence directe à l'esprit casanier et un brin misanthrope de celui qui avait su la conquérir par la finesse de son esprit et sa « petite folie ».

aaa

            Il suffisait de faire le tour de la Pousselisière pour s'apercevoir que les graines de folie avaient bien germé et s'épanouissaient à leur aise dans ce fabuleux jardin. Des miroirs suspendus renvoyaient en lignes brisées les éléments d'un décor surréaliste où chaque personnage de bric et de broc s'inscrivait dans un monde fantastique. Du Pedro à l'état brut, métamorphosant sans sommation chaque rebut de la société de consommation. De santé fragile, il souffrait depuis toujours de la fièvre de la récupération. Terroriste pacifique, il détournait les objets pour les ressusciter et leur insuffler une âme.Et ce n'est pas après trois quarts de siècle qu'on allait le changer !
Une fois, une seule, il avait failli s'en mordre les doigts. Sa curiosité un peu trop exacerbée l'avait emmené sur une mer démontée jusqu'aux îles du Cap-Vert. Faut dire que Loulou s'en était mêlée et que, piqué dans sa fierté, il avait tenu à dénouer les fils d'une énigme gravée sur la bande magnétique d'une cassette audio hors d'âge. Mal lui en avait pris. Louise l'avait devancé et avait réussi à lui faire accepter l'idée d'un festival de musiques du monde sous ses fenêtres. Festival avorté, mais qui lui avait malgré tout amené du bruit et de la fureur, deux nuits sans sommeil, ou presque, et l'impression de s'être fait avoir comme un débutant.
NON ! Il se l'était juré, se l'était promis, on ne l'y reprendrait plus le Pedro. Ses questions, ses interrogations, ils les garderaient pour lui tout seul. Tout ce qui,de près ou de loin, le ramenait à ces souvenirs cuisants des Terres Rondes de Rondelande, il l'avait remisé au fond d'un placard. Y compris les coupures de presse qui en avaient fait écho et le Kodak Instamatic chargé que le grand échalas de correspondant du Courrier Yonnais avait cru de bon ton de lui laisser. Tout cela dormait dans un tiroir et on n'entendrait plus jamais parler. Depuis deux ans, Pedro se contentait de faire ses tournées matinales chez Fourny. C'est ainsi qu'il parlait de ces lieux de dépôt sauvage où il allait glaner ce dont des concitoyens au-dessus de tout soupçon se débarrassaient sans barguigner.
« Une malédiction pour les écolos, une bénédiction pour Pedro », sifflait-il entre ses dents ce matin d'octobre où un imposant tas de déchets abandonnés à l'entrée d'un champ attira son regard affûté. Pas de doute, son imagination fertile allait pouvoir entrer en action. Petit « tour du propriétaire » pour commencer, premier état des lieux pour cerner la qualité du gisement. Quelques tasses et soucoupes vite embarquées. Un album photo au cuir élimé ? Pourquoi pas ? Un carton de livres et de dossiers. Toujours intéressant à éplucher. Et au milieu de ce fatras, une armoire éventrée. C'est qu'il l'emmènerait bien Pedro. Mais il lui faut reconnaître qu'avec son dos récalcitrant et ses biceps de moineau, impossible de bouger la bête. Sortie de ses gonds, la porte centrale de l'armoire dont le miroir miraculeusement intact sembla lui faire de l'oeil. Pour cette fois-ci, il se contentera de cette proie à sa portée. Encore fallait-il la hisser sur le siège arrière de sa Mazda boueuse et éreintée.

La suite prochainement, ou pas, selon la demande...


Pour finir ce post, un mot de remerciement à René Egles, chantre de la culture alsacienne et troubadour bien connu de tous les défenseurs de la langue alsacienne, qui m'a adressé un très chaleureux  commentaire après la lecture de Faux socle en trigone
J’ai littéralement dévoré et sincèrement apprécié votre livre ; il prend place avec bonheur parmi ce que l’on appelle chez nous un alsatique – mot qui n’existe qu’ici – Notre regretté Raymond Matzen aurait apprécié. Il couvre une page dramatique de notre histoire que les Hasseböeck se plaisent à ignorer. Un récit très émouvant , raconté de façon originale par trois personnages. A la fin de la lecture je me suis dit qu’il pourrait faire l’objet d’un film, une odyssée à travers les plaines d’Ukraine, en passant par la Pologne, l’Allemagne, l’Alsace. D’autant plus émouvant que je retrouve des lieux, des personnages que je connais à présent : les tilleuls de Lautenbach sous lesquels j’ai chanté, ‘s Senftgässel, de Strohbür, ‘s Hirteschangs (Hirdt), ‘s Lenze, d’Hybrides, l’église, la rue Jacob (je suis cronenbourgeois)… Bravo pour votre plume poétique et érudite, pour l’attachement à votre Heimet.
René Egles dont voici l'adresse du site : http://eglesrene.free.fr/


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