De gens, d'orme et sons à la Pousselisière
Saint Bhâl, priez pour nous ! |
Pour m'aider à retrouver ma plume, j'ai convoqué les esprits de Pedro et de Louise à la Pousselisière. Je leur ai chanté ma petite sérénade :
Prête-moi ta plume mon ami Pedro...
Et en ce lundi venteux, je peux te l'annoncer ami lecteur, j'ai refermé le dernier chapitre de l'aventure que je vais commencer à te raconter aujourd'hui, mais dont tu ne connaîtras la suite que sur demande express dans ce blog. Eh oui, faut savoir se faire désirer. C'est ça l'amour !
And now, Ladies and Gentlemen, bonnes lectures :
L'été
ruisselait en rayons obliques sur les arbres de la Pousselisière.
Une fin de saison en lent déclin vers les grandes marées
d'équinoxe. Pedro retrouvait son quotidien : lever aux
premières lueurs du jour et coucher avant même que les ombres
n'aient eu le temps de s'étirer. Il ne s'appelait pas vraiment
Pedro. Un prénom d'emprunt pour coller une saveur exotique à ses
semelles usées. Alors, va pour Pedro. Usé, il l'était bien un peu
aussi. Trois quarts de siècle et des poussières. « Mais il
vient un temps où chaque grain de poussière devient un rocher de
plus à faire rouler devant soi. » C'est qu'il avait des
lectures, le Pedro. Le corps frêle mais des connections intactes
sous le capot.
Quand
il avait annoncé à sa Dulcinée, la vaillante Louise de la
Pousselisière, qu'il allait planter une rangée de six ifs sur la
partie haute du domaine, elle avait cru à une nouvelle lubie de son
hidalgo du Pays des Achards.
Lui, l'avait renvoyée à ses études en lui parlant du mythe de
Sisyphe. Ce à quoi Loulou, ou Louisette, selon l'humeur du moment,
avait rétorqué : « Si tu tenais du mythe, ça se
saurait. Toi, mon Pedro, je dirais plutôt l'ermite au logis. »
Référence directe à l'esprit casanier et un brin misanthrope de
celui qui avait su la conquérir par la finesse de son esprit et sa
« petite folie ».
aaa
Il suffisait de faire le tour de la Pousselisière pour s'apercevoir
que les graines de folie avaient bien germé et s'épanouissaient à
leur aise dans ce fabuleux jardin. Des miroirs suspendus renvoyaient
en lignes brisées les éléments d'un décor surréaliste où chaque
personnage de bric et de broc s'inscrivait dans un monde fantastique.
Du Pedro à l'état brut, métamorphosant sans sommation chaque rebut
de la société de consommation. De santé fragile, il souffrait
depuis toujours de la fièvre de la récupération. Terroriste
pacifique, il détournait les objets pour les ressusciter et leur
insuffler une âme.Et ce n'est pas après trois quarts de siècle
qu'on allait le changer !
Une fois, une seule, il avait failli s'en mordre les doigts. Sa
curiosité un peu trop exacerbée l'avait emmené sur une mer
démontée jusqu'aux îles du Cap-Vert. Faut dire que Loulou s'en
était mêlée et que, piqué dans sa fierté, il avait tenu à
dénouer les fils d'une énigme gravée sur la bande magnétique
d'une cassette audio hors d'âge. Mal lui en avait pris. Louise
l'avait devancé et avait réussi à lui faire accepter l'idée d'un
festival de musiques du monde sous ses fenêtres. Festival avorté,
mais qui lui avait malgré tout amené du bruit et de la fureur, deux
nuits sans sommeil, ou presque, et l'impression de s'être fait avoir
comme un débutant.
NON !
Il se l'était juré, se l'était promis, on ne l'y reprendrait plus
le Pedro. Ses questions, ses interrogations, ils les garderaient pour
lui tout seul. Tout ce qui,de près ou de loin, le ramenait à ces
souvenirs cuisants des Terres Rondes de Rondelande,
il l'avait remisé au fond d'un placard. Y compris les coupures de
presse qui en avaient fait écho et le Kodak Instamatic chargé que
le grand échalas de correspondant du Courrier Yonnais
avait cru de bon ton de lui laisser. Tout cela dormait dans un tiroir
et on n'entendrait plus jamais parler. Depuis deux ans, Pedro se
contentait de faire ses tournées matinales chez Fourny. C'est ainsi
qu'il parlait de ces lieux de dépôt sauvage où il allait glaner ce
dont des concitoyens au-dessus de tout soupçon se débarrassaient
sans barguigner.
« Une malédiction pour les écolos, une bénédiction pour
Pedro », sifflait-il entre ses dents ce matin d'octobre où un
imposant tas de déchets abandonnés à l'entrée d'un champ attira
son regard affûté. Pas de doute, son imagination fertile allait
pouvoir entrer en action. Petit « tour du propriétaire »
pour commencer, premier état des lieux pour cerner la qualité du
gisement. Quelques tasses et soucoupes vite embarquées. Un album
photo au cuir élimé ? Pourquoi pas ? Un carton de livres
et de dossiers. Toujours intéressant à éplucher. Et au milieu de
ce fatras, une armoire éventrée. C'est qu'il l'emmènerait bien
Pedro. Mais il lui faut reconnaître qu'avec son dos récalcitrant et
ses biceps de moineau, impossible de bouger la bête. Sortie de ses
gonds, la porte centrale de l'armoire dont le miroir miraculeusement
intact sembla lui faire de l'oeil. Pour cette fois-ci, il se
contentera de cette proie à sa portée. Encore fallait-il la hisser
sur le siège arrière de sa Mazda boueuse et éreintée.
La suite prochainement, ou pas, selon la demande...
Pour finir ce post, un mot de remerciement à René Egles, chantre de la culture alsacienne et troubadour bien connu de tous les défenseurs de la langue alsacienne, qui m'a adressé un très chaleureux commentaire après la lecture de Faux socle en trigone.
J’ai littéralement dévoré et
sincèrement apprécié votre livre ; il prend place avec
bonheur parmi ce que l’on appelle chez nous un alsatique – mot
qui n’existe qu’ici – Notre regretté Raymond Matzen aurait
apprécié. Il couvre une page dramatique de notre histoire que les
Hasseböeck se plaisent à ignorer. Un récit très émouvant ,
raconté de façon originale par trois personnages. A la fin de la
lecture je me suis dit qu’il pourrait faire l’objet d’un film,
une odyssée à travers les plaines d’Ukraine, en passant par la
Pologne, l’Allemagne, l’Alsace. D’autant plus émouvant que je
retrouve des lieux, des personnages que je connais à présent :
les tilleuls de Lautenbach sous lesquels j’ai chanté, ‘s
Senftgässel, de Strohbür, ‘s Hirteschangs (Hirdt), ‘s Lenze,
d’Hybrides, l’église, la rue Jacob (je suis cronenbourgeois)…
Bravo pour votre plume poétique et érudite, pour l’attachement à
votre Heimet.
René Egles dont voici l'adresse du site : http://eglesrene.free.fr/
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